Depuis La liste de mes envies (JC Lattès, 2012), Grégoire Delacourt ne s’est pas reposé sur son succès. Alors qu’il aurait pu reproduire le même modèle de comédie sociétale, il a préféré se renouveler. La première chose qu’on regarde était déjà plus grinçant. On ne voyait que le bonheur vire à la noirceur.
Alors que son père est en train de mourir d’un cancer, Antoine, la quarantaine, entreprend de raconter son histoire à son fils Léon, 7 ans. Il a aussi une fille, Joséphine, l’aînée du couple qu’il forme avec Nathalie. Entre eux, le désamour, les mensonges et la trahison se sont installés. Au début, la situation n’est pas aussi dramatique que celle de ses parents. Sa mère, une intellectuelle amatrice de Sagan et de cigarettes mentholées, alcoolique, s’est suicidée après les avoir quittés, suite à la mort accidentelle d’une de ses filles jumelles, Anne. L’autre, Anna, amputée de sa moitié, ne construit plus que des demi-phrases.
Antoine, expert pour des compagnies d’assurances, est victime d’un TOC : il chiffre tout, notamment les chapitres de la première partie du livre. C’est un professionnel, pas un sentimental. Une seule fois, il fait preuve de compassion, ment à son employeur pour aider une pauvre femme, et se fait virer. Tout son univers s’effondre et il va être pris d’un coup de folie mortifère : prison, exil au Mexique où il tente de "refaire sa vie". Mais il lui faudra attendre que Joséphine, devenue adolescente, ait l’intelligence et la générosité de vouloir comprendre, pour trouver, peut-être, le pardon et l’apaisement.
La fin du roman, composé comme un triptyque, reste ouverte, même si on s’achemine vers une réconciliation. Dans le premier volet, le plus riche, le plus intéressant, la structure, éclatée, entremêlant les époques, les personnages et les épisodes, complique l’histoire, déjà passablement complexe. En dépit d’une construction rigoureuse, le lecteur perd parfois un peu le fil. Le deuxième volet, mexicain, est plus clair. Le journal de Joséphine, lui, ne manque pas de qualités, notamment une justesse de ton, une violence primale. L’ensemble donne un roman ambitieux, composite, qui déstabilisera peut-être les fans de La liste de mes envies, mais marque à coup sûr une étape dans l’évolution littéraire de Grégoire Delacourt.
J.-C. P.