C'est une initiative particulièrement heureuse : la création conjointe par les éditions Lattès, RFI et la Cité internationale des arts d'un prix Voix d'Afriques (le pluriel est essentiel) destiné à faire découvrir chaque année une nouvelle voix, une vraie écriture, issue de ce continent. S'il fallait une preuve de l'intérêt de cette initiative, la beauté d'Abobo Marley, le livre du premier récipiendaire l'an dernier, Yaya Diomandé, pourrait y suffire. Celle de Cave 72, le roman du slameur congolais Fann Attiki qui vient d'obtenir cette récompense pour cette année, devrait achever de convaincre les derniers récalcitrants.

De quoi s'agit-il ? Du plus baroque, du plus noir, d'un des plus tragiquement drôles des romans. Brazzaville de nos jours. La Cave 72 est un de ces troquets qui réunit les générations dans une identique ivrognerie, le tout tenu d'une main de fer et un gant de velours par une matrone qui se fait nommer Maman Nationale. C'est là que se retrouvent quatre amis unis comme les trois mousquetaires, Verdass, Ferdinand, Didi et Stephan. « Ils entretenaient une amitié qui s'inscrivait en dehors des vérités des Hommes. Une amitié s'accrochant au temps. Une amitié bravant l'égoïsme, l'ingratitude, la mésentente, la traîtrise et d'autres tourments. » Recherchant mutuellement le goût de l'ivresse, des femmes et encore plus des livres, ces quatre-là ne peuvent se résoudre à rentrer dans le rang. Ils sont un peu comme des clochards célestes, détachés autant que possible des contingences du temps. Celles-ci vont pourtant les rattraper lorsqu'un haut fonctionnaire des services de sécurité de leur pays, désireux de se faire valoir par l'autoproclamé « Guide Providentiel de la Nation » monte de toutes pièces un dossier de terrorisme contre l'État prétendument mené par un ancien ministre et organisé par nos quatre pieds nickelés réinventés à peu de frais en dangereux factieux... Derrière son humour, son énergie, sa vitalité narrative, il n'est pas interdit de penser que le livre de Fann Attiki est essentiellement politique et que son arme de dérision massive est ici pleinement le style. On pense parfois à Alain Mabanckou, mais aussi au merveilleux Les grands de Sylvain Prudhomme. En tout cas, au haut de notre panier littéraire.