Avant-critique Roman

Fiona Mozley, "Dernière nuit à Soho" (Joëlle Losfeld Éditions) : Libéralisme à la rue

MOZLEY Fiona - Photo © Gallimard - Francesca Mantovani

Fiona Mozley, "Dernière nuit à Soho" (Joëlle Losfeld Éditions) : Libéralisme à la rue

Dans son deuxième roman, Fiona Mozley dénonce la gentrification du quartier londonien de Soho, dont l'âme historique disparaît en même temps que sa population marginale sous les coups de la spéculation immobilière.

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Par Marie Fouquet
Créé le 06.09.2022 à 14h00

Le quartier populaire de Soho à Londres, réputé pour sa vie nocturne et ses bordels, est la scène choisie par Fiona Mozley pour dérouler l'intrigue de son deuxième roman. On est loin de l'univers naturel et reculé d'Elmet, très remarqué et salué par la critique, écrit comme un conte et finaliste du Man Booker Prize en 2017 (il a été traduit en français début 2020). Pourtant les obsessions de l'autrice apparaissent à nouveau : l'expression et la résistance de la marge face à la monstruosité du capitalisme, les contrastes de classes sur un même territoire, les rapports filiaux et leurs conséquences sur les trajectoires individuelles.

En décrivant les destins antinomiques de ses personnages, Fiona Mozley dessine les complexités d'un quartier qui s'embourgeoise à une vitesse spectaculaire, où les classes sociales se télescopent et où les intérêts de chacun entrent en conflit. Entre Agatha qui, à 21 ans, a touché l'héritage de son père décédé lorsqu'elle était jeune et est ainsi devenue propriétaire d'immeubles à Soho, et Precious, prostituée d'une quarantaine d'années qui lutte pour que son logement et son lieu de travail ne soient pas détruits, il y a un monde.

Fiona Mozley explore autant la classe ultra-normée, riche et éduquée, post-étudiante de Londres, que les bas-fonds d'un quartier où l'alcool, la drogue et les dangers engendrés par la marginalisation font des ravages. L'accélération de la gentrification et la spéculation immobilière écrasent l'âme de ce quartier historiquement populaire, où les plus anciens habitants sont condamnés à partir, incapables de subsister dans un environnement devenu beaucoup trop onéreux.

Mozley traduit sous une forme romanesque la violence d'une réalité qui touche toutes les grandes villes d'Europe, y compris en France. Si Paris est l'archétype de la métropole mondialisée qui rejette de plus en plus rapidement les populations les plus pauvres bien au-delà du périphérique, le phénomène touche aujourd'hui des villes jusqu'ici très populaires comme Marseille. L'écrivaine dénonce ce modèle urbain accéléré qui chasse ceux qui n'ont pas un minimum de ressources- bien souvent obtenues par reproduction sociale, filiation et transmission du patrimoine. Difficile dans ces conditions de voir se déployer la mixité sociale que vantent hypocritement ceux qui œuvrent justement à la détruire.

Fiona Mozley
Dernière nuit à Soho Traduit de l'anglais par Laetitia Devaux
Joëlle Losfeld
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22 € ; 352 p.
ISBN: 9782072945229

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