Nous sommes le 16 septembre de l'année 1875, horribilis pour Gustave Flaubert. Il y a d'abord eu la mort de son ami de jeunesse Bouilhet. Et puis, alors que, rentier, hébergé à Croisset, non loin de Rouen, sur les bords de la Seine, dans une demeure appartenant à sa nièce Caroline, qu'il considère un peu comme la fille qu'il n'a pas eue, il coulait des jours tranquilles à l'abri du besoin, patatras ! C'est tout son monde qui s'effondre. Le mari de Caroline, Commanville, exploitant forestier, ayant fait de mauvaises affaires, il est question que celle-ci, la sans-cœur, vende Croisset, mettant l'oncle à la rue. Celui-ci, afin de sauver le couple, se résout à vendre sa ferme de Deauville, dont il tirait l'essentiel de ses rentes. Du coup, il ne parvient plus à écrire, laissant en plan plusieurs projets, dont une espèce de roman, Bouvard & Pécuchet, auquel il travaille depuis des années déjà. Que faire, pour cet hypersensible qui, à 54 ans, se voit déjà en homme fini ? Prendre des vacances, lui conseille sa grande amie George Sand, s'aérer, faire du sport, penser à autre chose. Et c'est ce que va faire Flaubert. De Deauville, il se met en route pour Concarneau : un voyage épique de douze heures.

Là, il retrouve une de ses connaissances, le fils d'un collègue et ami de son défunt père, médecin comme lui, Georges Pouchet, explorateur (lui aussi a fait l'Egypte), chercheur au Muséum d'Histoire naturelle, qui s'est aménagé un aquarium et un laboratoire dans la petite ville bretonne, où il passe son temps à disséquer et à étudier des poissons et des algues. Concarneau était alors la capitale française de la sardine, pêche et conserveries. D'où son fumet bien particulier.

Flaubert s'installe à l'auberge Sergent, tout près du port. Il voit les bateaux partir et revenir. Il va y demeurer jusqu'au 1^er novembre, à ne rien faire, ou presque, tout du moins au début.

Il dort douze heures par nuit. S'empiffre. Dévore les journaux. Se rend chaque matin au labo de Pouchet, qui lui montre ses expériences, l'emmène se balader « par les champs et par les grèves », comme l'écrivain l'avait fait, 30 ans auparavant, avec son grand ami d'alors Maxime Du Camp. Lui présente son collègue Georges Pennetier, qui travaille sur les origines de la vie. Et puis, après la sieste, vers cinq heures, ils vont tous trois prendre un bain dans l'Atlantique glacial. Flaubert, rouge, convulsé, souffle comme un gros phoque. Mais il semble presque heureux. Le soir, dîner (pantagruélique) à l'hôtel, et dodo. Bien sûr, il fait quelques cauchemars, mais c'est peut-être à cause de Sade, qu'il lit avec jubilation et vante à l'excellent Pouchet, un peu choqué quand même. Du coup, l'envie d'écrire lui revient : Flaubert ébauche sa future Légende de Saint-Julien l'Hospitalier (qui figurera dans le recueil Trois contes), et se remet à Bouvard & Pécuchet. Il lui reste cinq ans jusqu'à sa mort : à Croisset, sauvé des créanciers.

Pour conter cet épisode peu connu de la vie de l'écrivain, il fallait un érudit minutieux, mais aussi facétieux et romancier. Le jeune professeur Alexandre Postel avait le profil. Il s'en est tiré avec brio.