Avec 74 premiers romans français, la rentrée littéraire 2011 accélère notablement la décrue enregistrée depuis quatre ans. Par rapport à 2010 et ses 85 premiers romans, la baisse est de 12,9 %. De manière générale, il n'y en avait pas eu aussi peu depuis 1998, année où 58 premiers romans étaient parus. A comparer avec les 34 publiés en 1993, les 102 de 2007 et surtout les 121 de 2004 ! Principale explication, beaucoup d'éditeurs qui ne publiaient que des premiers romans se sont abstenus. La plupart des grandes maisons restent au même niveau (Gallimard, Albin, Grasset, Julliard et Calmann-Lévy). Flammarion, qui n'avait pas présenté de nouvel auteur l'an passé, en propose un. A l'inverse, Stock, Le Seuil et Plon en comptent chacun un de moins et Lattès passe de quatre à deux. Si le niveau de production s'est plus ou moins maintenu chez les "gros", ce sont donc les petites maisons qui font la différence cette année. Afin d'éviter la déferlante d'août-septembre, certaines ont parfois publié dès mai-juin leurs premiers romans. Présentes en 2010 mais absentes en 2011, figurent notamment Michalon, Elan Sud, Philippe Rey, Le Temps qu'il fait, La Table ronde et Stéphane Million. Les femmes sont toujours moins nombreuses, mais à 35 contre 39, la parité est manquée de peu. Un contraste fort avec les années précédentes où la proportion était plutôt deux tiers d'hommes pour un tiers de femmes.
L'AMOUR TOUJOURS
Cette année, les premiers romans puisent largement leur inspiration dans les histoires d'amour, souvent impossibles. A l'image de celle imaginée par le journaliste Pierre de Vilno (Elvire et Jérémy, Héloïse d'Ormesson), où un homme et une femme s'aiment et se déchirent alors qu'ils sont d'ordinaire tous les deux attirés par des individus du même sexe. Valérie Perronet, dans Jeanne et Marguerite (Calmann-Lévy), retrace deux romances tragiques vécues par des héroïnes séparées par près d'un siècle. Pour leur part, les personnages de Myriam Thibault (Orgueil et désir, Léo Scheer) n'osent pas révéler leurs sentiments l'un pour l'autre de peur de faire montre de faiblesse. La complexité de la relation est au coeur de Va et dis-le aux chiens (Fayard) d'Isabelle Coudrier, dont les deux protagonistes nient la force de leur attachement au mépris de l'évidence. >Enfin, Isabelle Cros, dans Le guetteur (Gaspard nocturne), conte la déception amoureuse d'une femme qui s'est profondément trompée sur le caractère de son amant, pour lequel elle a abandonné sa passion de la danse.
Le deuil est le thème central de deux titres. Dans Les oiseaux de paradis (Joëlle Losfeld) Lisa Beninca se glisse dans la peau d'une femme qui tente de surmonter la disparition abrupte de son compagnon, tandis que dans Un garçon si tranquille (Le Cherche Midi) François Chollet nous convoque pour suivre le combat d'un homme déterminé à réhabiliter la mémoire de sa mère, emportée par un cancer du sein.
La guerre est une source d'inspiration toujours féconde : Dans L'art français de la guerre (Gallimard), Alexis Jenni revient sur les cinquante dernières années de l'histoire militaire de notre pays, marquées par la décolonisation, à travers un personnage de vétéran devenu peintre. Toujours chez Gallimard, Lilyane Beauquel, elle, a choisi de s'intéresser, avec Avant le silence des forêts, à la Grande Guerre en suivant les pas de quatre jeunes recrues idéalistes de l'armée allemande, au moment de leur arrivée sur le front en 1915. La Seconde Guerre mondiale est également à l'honneur : Gérard Landrot relate le quotidien d'une concierge parisienne sous l'Occupation (Tout autour des Halles, quand finissait la nuit, L'Editeur), quand Isabelle Blondet-Hamon dépeint l'univers concentrationnaire (Le ciel de Birkenau, Diabase).
DERRIÈRE LES BARREAUX
Autre univers clos et dangereux, dans une moindre mesure, la prison : Un lézard dans le jardin (Thierry Marchaise), d'André Agard rappelle un peu Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kesey, avec sa narratrice hésitant à se faire déclarer folle pour échapper à la prison. Ce monde à part est évoqué par un autre nouveau venu, Alain Guyard (La zonzon, Le Dilettante), dont le héros aux mauvaises fréquentations et qui donne des cours de philosophie à des détenus va faire une rencontre inattendue. Une trame semblable à celle de Val d'Absinthe (L'Aube) d'Anna Roman, où une femme mariée qui aide des prisonniers à intégrer un cursus universitaire va nouer un dialogue épistolaire troublant avec l'un d'eux.
Comme Vincent Almendros (Ma chère Lise, Minuit), un certain nombre d'auteurs s'intéressent à l'errance et au voyage initiatique. Anne-Sophie Stefanini (Vers la mer, JC Lattès) propose ainsi le récit d'une virée en voiture de Paris jusqu'à Nice entre une mère et sa fille de 18 ans. Dans Nos cheveux blanchiront avec nos yeux (Alma éditeur), Thomas Vinau s'attache à la quête de vérité d'un homme qui, des Flandres à l'Espagne, s'interroge sur la solidité de son couple.
Les relations familiales et leurs règlements de comptes parfois saignants reviennent d'année en année comme sujets de prédilection de nombreux premiers romans, et cette rentrée ne fait pas exception, ainsi que le prouvent Charles Consigny (Le soleil, l'herbe et une vie à gagner, Lattès), Geneviève Damas (Si tu passes par la rivière, Luce Wilquin) et Fanny Saintenoy (Juste avant, Flammarion). Enfin, Jean Turcat (Beigbeder m'a tuer, Jacques-Marie Laffont) et Annick Stevenson (Génération Nothomb, Luce Wilquin) se placent délibérément dans l'ombre des poids lourds du secteur, qui ont eux aussi un jour publié leur première oeuvre. En espérant obtenir le même succès ?