28 mars > Essai France

Arielle Meyer MacLeod, docteure ès lettres à l’Université de Genève, chercheuse en études théâtrales, dramaturge, écrit depuis toujours mais ne s’était jamais aventurée dans une entreprise de ce genre : nouer un récit personnel à un exercice de théorie littéraire. Combiner deux gestes : l’un autofictif, organisant, aidé de Paul Ricœur, Annie Ernaux ou Camille Laurens, les souvenirs d’une histoire d’amour ; l’autre, d’analyste, proposant une lecture de La maison du Chat-qui-pelote, la nouvelle inaugurale de La comédie humaine, sujet d’un article rédigé il y a une douzaine d’années et jamais paru.

Le titre prend l’expression Tourner la page (avec Balzac) au pied de la lettre : il s’agit à la fois de feuilleter et de clore pour passer à autre chose. Ce sera, prévoit l’auteure, "un récit potentiellement pléthorique, forcément lacunaire, subjectif, incomplet. Récit guidé par la mémoire - trouée -, par les images que j’ai aujourd’hui d’événements qui ne sont plus, mémoire qui raconte finalement plus le présent que le passé." En vis-à-vis donc, la fiction balzacienne et une rupture, celle de la narratrice avec son mari P., musicien, neuf ans plus jeune, rencontré à l’approche de la quarantaine quand elle vivait seule avec ses deux enfants et avec qui elle a eu un fils.

"Récit intime versus rhétorique universitaire", dit-elle. De cette confrontation ressort un texte qui interroge la mise en forme par l’écriture, l’énonciation. Le caractère mortifère aussi de l’exercice de représentation, la forme de meurtre qu’il contient, quand l’autre est "réifié" comme dans la nouvelle de Balzac où le personnage principal, peintre, fige en la représentant l’image d’une jeune fille entrevue à une fenêtre, femme désirée qu’il va épouser puis abandonner.

"Ne pas écrire, c’est aussi laisser ouvert le récit d’une vie", observe l’auteure, obsédée par les portes que ferme l’écriture, la tombe de mots et de phrases qu’elle offre aussi bien à l’amour qu’à la douleur, le seuil de deuil qu’elle fait franchir aux histoires… L’enjeu central du livre semble là dans cette tentative courageusement obstinée, de passer ce seuil. Pour accepter d’abandonner derrière soi "tout ce qu’en écrivant, on n’écrit pas".

V. R.

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