Entretien

Francis Geffard : " Je cherche des auteurs qui ont un supplément d’âme."

Francis Geffard. - Photo Olivier Dion

Francis Geffard : " Je cherche des auteurs qui ont un supplément d’âme."

Libraire, éditeur, fondateur du Festival America et du Grand prix de littérature américaine, Francis Geffard dévoile sa vision sur le récit américain. Une littérature qui s'ouvre à "une diversité de voix" et qui plaît toujours autant aux Français.

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Par Dahlia Girgis
Créé le 09.11.2021 à 18h00

Qu’est-ce qui vous a séduit dans Où vivaient les gens heureux de Joyce Maynard (Philippe Rey), Grand prix de littérature américaine 2021 ?
J’ai aimé la manière, tout en finesse et subtilité, dont Joyce Maynard explore la vie d’une femme des années 1970 jusqu’à nos jours. Elle évoque un peu tout ce dont sont faits nos vies. C’est une réflexion à la fois sur la vie de couple et la famille, mais également un regard sur la façon dont les êtres ont évolué ces dernières années. L’air de rien, le livre fait un état des lieux de la vie. 

Pourquoi avoir créé ce prix littéraire ?
Depuis le début du XXe siècle, la littérature outre-atlantique a toujours résonné auprès des lecteurs français. Paradoxalement, il n’y avait aucune récompense qui lui était consacrée. Après la création du Festival America en 2002, il a fallu attendre 2015 pour lancer le prix. Nous voulions essayer de mettre à l’honneur ces littératures nord-américaines, qui ont la faveur du public français.

Pourquoi cette littérature "résonne" auprès des Français ? 
Elle est dynamique, extrêmement vivante et inventive. C'est lié à la spécificité des Etats-Unis qui abrite une société et une culture à la fois plurielles et promptes à réagir. En très peu de temps, les écrivains américains se sont attaqués à des sujets comme la guerre du Vietnam, alors qu’en France, avec par exemple la guerre d’Algérie, cela a pris plus de temps. L'écrivain américain est à la périphérie de la société alors qu’en France, il est plus intégré dans la société. Ils ne regardent pas les choses du même endroit. La littérature n’est jamais que le reflet d’une société à un moment donné.
 
Festival America 2018- Photo DR

Est-ce que vous voyez des tendances émerger au sein de la littérature américaine ? 
Je constate une diversité de voix qu’il n’y a jamais eue véritablement. Longtemps, la société américaine a été divisée sur le plan de la question raciale. Les auteurs n’avaient pas la capacité de s’exprimer sur des histoires qui n'appartiennent qu’à eux. Ces dernières années, il y a eu un mouvement de réveil des consciences. Désormais, toutes ses voix, bâillonnées ou tout du moins diminuées, s'expriment.

Comment s'est développée cette littérature sous le mandat de Donald Trump ? 
Trump a causé un éveil d’une conscience politique qui se verra peut-être dans la littérature américaine. Il est trop tôt pour le savoir. De mon point de vue, la politique n’a pas encore pénétré la matière des romans. Pendant la présidence de Trump et des événements comme l’affaire Georges Floyd, les Etats-Unis ont donné une large expression à tous les écrivains qui s’expriment sur une minorité. Une sorte de séance de "rattrapage" face à une littérature américaine souvent issu d’hommes blancs anglo-saxons. Nous allons percevoir de plus en plus une littérature qui questionne le fonctionnement des démocraties et leurs fragilités.

La société est-elle prête à recevoir ces récits politiques ?
Je pense que pour le moment nous ne sommes pas trop soumis en France à la "cancel culture" et à la "woke culture". Aux Etats-Unis, la société a été largement, et est toujours, soumise au racisme et à la ségrégation. Chez eux, la "cancel culture" est un peu l’avatar disproportionné d’une forme d'oppression culturelle qui a longtemps sévi de façon injuste.
 
En 2017, de gauche à droite : Dany Laferrière, Francis Geffard, Colson Whitehead, l'ancienne Garde des sceaux Christiane Taubira et le directeur des éditions Albin Michel,Richard Ducousset.- Photo TERRES D'AMÉRIQUE/DR

Comment se constitue votre “famille” d’écrivains (Colson Whitehead, Louise Erdrich..) regroupés dans la collection "Terres d’Amérique" chez Albin Michel ?
Le rôle d'un éditeur n’est pas de publier tout le monde. La littérature est une tentative de réponse à la question que l’on pose tous : qu’est ce qu’être un être humain ? Les romans permettent d’élargir les perspectives. Il faut faire des choix et travailler en fonction des affinités que nous avons avec les œuvres. Je cherche toujours des auteurs qui portent un regard singulier sur la vie et sur le monde, qui ont un supplément d’âme.

Après l’annulation de l’édition 2020, comment comptez-vous marquer les 20 ans du Festival America en 2022 ? 
A l'occasion de cet anniversaire, nous souhaitons restituer la diversité de ces voix d’Amérique. Ce sera un peu notre thème avec des auteurs qui ont porté un certain regard sur le monde et sur la littérature à travers un prisme qui leur est propre. Le festival qui se déroulera du 22 au 25 septembre sera proche du 500e anniversaire de la découverte des Etats-Unis. Nous allons donc rendre un hommage particulier aux auteurs autochtones, d’origine amérindienne et inuite. Une délégation d’une vingtaine d'écrivains de ces communautés sera ainsi réunie pour la première fois en France.

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