Paul, prof de littérature à la fac de M..., compose un long récit adressé à Juliette, une psychologue avec laquelle il partage une relation amoureuse. Il lui raconte d'abord un souvenir d'enfance : la trahison d'un de ses camarades d'école, qui avait prétendu à tort souffrir d'une tumeur au cerveau et auquel Paul s'était dévoué corps et âme, avant de découvrir la vérité. Cette triste expérience, que le narrateur présente comme une prophétie, est le point de départ de ce qui apparaîtra comme un aveu. « Dans mon rire, tu vois un symptôme. Un symptôme paradoxal, et comme toujours le paradoxe a bon dos, qui clôt le sujet en l'expédiant. »

Après avoir décrit son parcours d'étudiant en lettres avec une ironie massacrante, emblématique du style de François Bégaudeau, Paul entre dans le cœur du sujet. Son ami et collègue Jacques Langres, professeur émérite et auteur de La littérature a-t-elle un sexe ?, a commis un viol sur une de ses collègues puis sur une étudiante, à l'heure où émergent les réflexions sur la domination masculine, la déconstruction, les conditionnements genrés. Un comité se crée alors, dont les débats font entendre les problématiques et les voix qui animent aujourd'hui le débat public : « la propension des femmes à s'accuser de ce qu'elles subissent », le backlash, la cancel culture et l'islamo-gauchisme comme déviances de l'université, le consentement non consenti, la défense du pouvoir masculin par des femmes bourgeoises...

Excellentes et vertigineuses mises en abyme. Car le récit prend progressivement une tournure inattendue malgré les signes laissés çà et là dans l'énumération d'anecdotes relatées par Paul. On perd le fil de la lecture, on n'arrive plus très bien à faire de liens entre les narrations et les points de vue, on tente de suivre l'introspection dans laquelle le narrateur lui-même se vautre, défendant tout et son contraire et plongeant peu à peu dans les méandres de la confusion la plus totale et la plus dévastatrice.

Dans ce roman haletant et dérangeant, Bégaudeau présente les mécanismes d'un pouvoir intellectuel aveugle, qui, perdu dans une mise à distance permanente et abusive, déploie sa cruauté au cœur de son insignifiance, entre scepticisme et fanatisme.