Entretien

François Busnel: "nous réfléchissons à une émission littéraire pour les jeunes par les jeunes"

François Busnel. - Photo Olivier Dion

François Busnel: "nous réfléchissons à une émission littéraire pour les jeunes par les jeunes"

Il n'est pas écrivain mais sans aucun doute, avec son émission « La grande librairie », l'un des plus gros « vendeurs » de livres en France. Plébiscité par la nouvelle enquête de LH Le Mag sur les médias les plus prescripteurs de livres, l'animateur et producteur se confie sur son besoin irrépressible d'explorer la littérature à travers les émotions mais aussi sur son statut tout-puissant, parfois critiqué dans le secteur.

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Par Isabel Contreras
Créé le 28.05.2021 à 12h49

« La grande librairie » est depuis 2015 le média le plus prescripteur de livres. Cette année encore, vous êtes encensé par 97 % des libraires. Quel est le secret de cette longévité ?

Ah, si je le connaissais ! Je produis et anime une émission qui est moins « intellectuelle » que « sensuelle » : je passe par les sens plus que par la raison. Je cherche à transmettre une émotion, pas à tenir un discours critique. Ce qui m'intéresse, c'est de transmettre aux gens qui regardent l'émission ce que peut ressentir un écrivain. Je cherche une parole sincère, non formatée. Pour cela, le journaliste doit être un silex : si vous le frottez à cet autre silex qu'est l'écrivain, alors jaillira une étincelle et à ce moment-là le téléspectateur pourra se dire « Tiens, ça m'intéresse ! » avant de devenir, le lendemain, un lecteur qui se rend en librairie. Je suis, comme un libraire, un curieux professionnel. Mon rôle est de susciter le désir, l'inspiration.

Vous sentez-vous libraire ?

Oui, je me sens libraire « télévisuel ». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'émission s'appelle « La grande librairie ». J'ai souhaité proposer à l'antenne ce rapport de connivence, de conseil et d'enthousiasme que l'on a en librairie. Un libraire n'infantilise pas, il vous écoute, s'intéresse à vos goûts puis vous conseille. C'est pourquoi je tiens à ce que les caméras soient les plus discrètes possible sur le plateau, pour que l'écrivain ne les remarque pas. Ça change totalement la donne ! Nous recréons en plateau cet univers de la librairie, où l'on ne se sent ni jugé ni observé.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
 

Cette émission repose uniquement sur vos choix littéraires. Comment programmez-vous vos invités ?

Au coup de cœur ! Je reçois en moyenne une trentaine de livres par jour. Pour choisir, je lis les premières pages de ceux qui me font de l'œil et je fais deux piles : soit je reste à la porte, je ne rentre pas dedans, soit le livre me touche et je me dis qu'il pourrait toucher les gens qui me regardent. Si je le retiens, je le lis intégralement, crayon à la main, à la recherche des questions qu'il pose et des passerelles avec les autres livres retenus. J'ai besoin d'être conquis, épaté, surpris, étonné. C'est pourquoi je n'arrive pas à travailler avec des « fichistes ». Il faut que je lise tout, moi-même. Ça relève de la maladie, j'en suis conscient ! Mon assistante, Dorothée, s'occupe ensuite des relations avec les éditeurs et les attachées de presse.

Vous privilégiez la non-fiction à la fiction ou est-ce une fausse impression ?

Il n'y a « que » 37 émissions par an et j'essaie de traiter tous les genres, de la jeunesse à la SF en passant par les essais ou le polar. Mais c'est une émission d'actualité littéraire : elle est donc le reflet de ce qui est publié.

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À quoi pensez-vous quand vous préparez vos questions ?

À transmettre une émotion. À comprendre le monde. À trouver le mot juste pour décrire ce que nous ressentons tous intuitivement. Je ne suis pas critique littéraire et je n'aime ni le cynisme ni le sarcasme. Je ne cherche pas non plus à créer le buzz. Je cherche à emmener l'écrivain vers sa vérité, sans le bousculer, en passant par l'empathie, jusqu'au moment où il perd un peu pied...

Quelle perception avez-vous de votre public ?

Il est très difficile de le connaître précisément car il rassemble tous les profils : grands lecteurs et simples curieux. J'y pense quand je me demande si un livre pourrait lui plaire mais je m'interdis de programmer en fonction de ce que je suppose qu'il aime. Je repense à ce conseil que m'a donné Jacques Chancel : « Ne donne pas aux gens ce qu'ils aiment mais ce qu'ils pourraient aimer. » Jacques m'a beaucoup inspiré, tout comme Bernard Pivot et Philippe Labro, de vrais intervieweurs qui plaçaient l'enthousiasme au-dessus de tout.

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Vous êtes toutefois producteur, vous vous intéressez donc naturellement à l'audimat ainsi qu'à l'effet multiplicateur provoqué par votre émission sur les ventes des livres écrits par vos invités ?

Les chiffres sont une boussole plus qu'un instrument de programmation. Si je m'y intéresse trop, je risque de programmer en fonction de cela et ce serait une erreur. J'ai la chance de travailler dans une vraie complicité avec Delphine Ernotte-Cunci et Stéphane Sitbon-Gomez [NDLR : la présidente de France Télévisions et le directeur des antennes et des programmes de France Télévisions]. Le choix de programmer « La grande librairie » à 20 h 50, en prime time, est déterminant mais on ne me demande pas de rassembler autant de téléspectateurs que « The Voice » ou « Koh-Lanta » ! On me demande surtout de donner la parole à des écrivains que l'on ne voit pas trop souvent ailleurs et d'emmener les téléspectateurs en librairie. L'audience n'a rien à voir avec la prescription. Ce qui m'intéresse c'est le taux de conversion en lecteur : que le téléspectateur devienne lecteur.

Mais vous encouragez aussi les exclusivités en exigeant à des écrivains comme Camille Kouchner, Vanessa Springora ou chaque lauréat du Goncourt de passer d'abord chez vous. Vous veillez donc à garder une place privilégiée au sein du panorama médiatique ?

C'est une question de respect vis-à-vis des téléspectateurs que de leur dire : voici un livre important, ne le ratons pas. Mais vous oubliez l'aspect défricheur : j'accueille sur mon plateau des écrivains qui rassurent, des têtes d'affiche, comme Erik Orsenna ou Maylis de Kerangal mais aussi des écrivains qui ne sont jamais invités nulle part ailleurs comme Patrick Modiano, Christian Bobin ou Pierre Michon, et, surtout, des inconnus qui ne le resteront pas longtemps : Leïla Slimani, Édouard Louis, Gaël Faye ou Joseph Ponthus ont « débuté » à « La grande librairie », bien avant d'être connus, tout comme, il y a 13 ans, Dany Laferrière et Alain Mabanckou qui n'étaient pas encore les stars qu'ils sont aujourd'hui. Je me souviens de la rencontre entre Dany Laferrière et Jean d'Ormesson, en 2008 : le lendemain, ce sont les livres de Dany que tout le monde s'arrachait en librairie. Créer ces passerelles entre écrivains célèbres et débutants, c'est très excitant !

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Votre rôle devient aussi politique. Vous avez récemment fait peser votre influence pour convaincre le gouvernement de rendre le livre un bien essentiel. Quel est le sens de votre engagement ?

Les gens qui lisent sont des gens libres. La lecture vous apporte les armes pour affronter le réel. Un livre peut changer une vie. J'en suis convaincu. Beaucoup de libraires indépendants m'ont sollicité au moment du deuxième confinement : il fallait ouvrir. Votre sondage apporte de l'eau à mon moulin. Si mon émission n'était pas prescriptrice, je vous promets que j'arrêterais.

Quelles sont vos prochaines « missions » ?

Avec Delphine Ernotte-Cunci et Stéphane Sitbon-Gomez, nous réfléchissons à une émission littéraire pour les jeunes par les jeunes que je produirai mais n'animerai pas. À des documentaires, aussi. Ce qui m'intéresse, aujourd'hui, c'est la relève. Nous allons poursuivre notre concours de lecture, « Si on lisait à voix haute », mais aussi « La p'tite librairie » (un livre raconté en moins de deux minutes), diffusée sur toutes les chaînes de France Télévisions à des horaires de grande écoute et qui rassemble deux millions de personnes chaque jour. Toutes ces initiatives ont une raison d'être : restaurer, par la lecture, l'esprit de curiosité. Il faut pousser les jeunes à aller en librairie. Le service public joue son rôle.

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Fin 2019, un groupe d'éditeurs du Syndicat national de l'édition a signé une tribune dans Le Monde pour faire part de leur préoccupation face à la disparition des émissions littéraires à la télé. Comment avez-vous perçu cette initiative ?

Cette manière de réclamer plus d'émissions littéraires sans voir ce qui existait déjà à France Télévisions (et en se trompant, au passage) était légitime sur le fond mais hautaine et arrogante sur la forme, et somme toute contre-productive. Quelques-uns ont rétabli le tir dans une autre tribune, bien plus mesurée et bien plus précise, quelques jours plus tard et ils ont été écoutés puisque Delphine Ernotte-Cunci m'a demandé de créer « La p'tite librairie ». Je note, en souriant, que les signataires de la première tribune, à deux exceptions près qui sont Antoine Gallimard et Oliver Gallmeister, n'ont pas réagi lorsque cette nouvelle émission a été lancée. Certains n'ont donc pas de mal à dire ce qui ne leur convient pas mais plus de mal à se réjouir de ce qui existe et marche.

Pourquoi portez-vous souvent ce regard critique sur l'édition ? Vous êtes pourtant officiellement en couple avec une écrivaine, Delphine de Vigan.

Les éditeurs et les écrivains, ce n'est absolument pas la même chose ! Mais, croyez-moi, je n'ai aucun mépris envers les éditeurs. Je les aime beaucoup ! Simplement, mon métier ne me laisse pas le temps de les fréquenter : je lis tous les jours, 6 à 8 heures par jour, pour préparer mes émissions. Je ne suis donc pas disponible pour les traditionnels déjeuners, cocktails, dîners mondains qui, c'est vrai, ne m'intéressent pas. Je suis d'un tempérament solitaire et indépendant. Je ne vis pas à Paris mais à la campagne. Je n'écris pas de livres, je refuse tous les jurys que l'on me propose, je ne demande rien. La liberté commence par l'indépendance. Cela ne m'empêche pas d'avoir, parmi mes amis, deux éditeurs. Qui ne réclament jamais la moindre faveur. Quand j'ai du temps pour moi, je le passe avec la femme que j'aime, avec mes proches ou bien en tournage au bout du monde, ou encore en bateau : ça vous lave la tête et vous ramène vers l'essentiel qui est l'enthousiasme, la curiosité, la quête de la beauté dans un monde hélas assez laid.

 

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