Plus qu'une reconnaissance, une consécration. Selon notre enquête Livres Hebdo/ Xerfi / I+C (document complet à télécharger ici) auprès des libraires sur les médias les plus influents sur le commerce du livre, « La grande librairie », sur France 5, est plus que jamais l'émission qui fait vendre. 97 % des professionnels interrogés estiment qu'elle fait partie des émissions de télévision les plus prescriptrices, soit 11 points de plus que lors de notre précédente enquête, en 2018.
Quant à son producteur et animateur, François Busnel, seule personnalité du paysage audiovisuel à défendre le livre chaque semaine en première partie de soirée, il confirme son statut de néo-Bernard Pivot, s'offrant même le luxe de figurer une deuxième fois dans le classement « télé » avec le programme court « La p'tite librairie », diffusé sur les différentes chaînes du réseau France Télévisions et cité par 3 % des répondants.
Certes, avec une moyenne de 500 000 téléspectateurs chaque mercredi soir pour « La grande librairie » (près d'un million le 13 janvier dernier, avec Camille Kouchner en invitée exceptionnelle, un record), l'ancien directeur de la rédaction de Lire n'atteint pas les scores d'« Apostrophes » en son temps, qui réunissait entre 1,5 et 2 millions de fidèles. Mais si l'émission ne touche pas réellement le grand public, « elle a un très fort pouvoir prescripteur auprès de ceux qui achètent des livres », analyse Laurent Martin, professeur d'histoire culturelle à l'université Sorbonne Nouvelle. « "La grande librairie", c'est un salon où l'on discute de manière amicale, il n'y a pas de débat. Elle amplifie la popularité des invités déjà reconnus, et joue un vrai rôle d'accélérateur pour les autres, placés soudain sous les feux de la rampe », complète Bertrand Legendre, professeur à l'université Paris 13 où il dirige le master « Politiques éditoriales ». Ce qui fait de l'émission le marqueur d'une promotion réussie pour les attachés de presse. Et pour nombre d'auteurs, la baguette magique qui bouleversera le destin de leur livre.
La télévision fait de la résistance
La couverture médiatique n'est bien sûr pas le seul facteur qui influe sur les listes des meilleures ventes, mais elle reste déterminante dans l'existence d'un ouvrage. Neuf détaillants sur dix estiment que l'impact des médias sur les ventes de livre est resté stable ou s'est renforcé au cours des douze derniers mois, et les libraires de premier niveau sont ceux qui ressentent le plus largement cette pression accrue du rôle des médias.
Surtout, si une campagne média réussie est aujourd'hui une campagne personnalisée et multisupports, « la télévision, qu'on a un peu vite enterrée face aux replays et aux programmes à la demande, fait de la résistance, votre sondage le montre », observe Laurent Martin. En témoigne la montée en puissance des talk-shows, « Quotidien » (TMC) et « C à vous », davantage cités qu'il y a trois ans, et qui ont réussi leur confinement en invitant de nombreux auteurs d'essais et de documents. Autrefois sur le podium des émissions capables de déclencher des ventes avec « On n'est pas couché », abonné aux polémiques, Laurent Ruquier n'est plus cité que par 2 % des libraires mais son émission du samedi soir, « On est en direct », n'est pas encore très installée.
Autre conséquence, peut-être, de la drôle d'année 2020 que nous avons traversée et de la démocratisation du télétravail, la baisse d'influence de la radio. Mais tous les « prescripteurs » interrogés pour cette enquête tombent d'accord sur un point : ils doivent leur statut à la confiance que leur accorde le public, qui s'est bâtie avec le temps.
On retrouve plusieurs « marques » fortes dans le haut des différents classements : « Télématin », diffusée pour la première fois en 1985. Radio France et ses fleurons France Inter et France Culture, plébiscitées par les CSP+. Télérama et son insolente base d'abonnés de plus de 400 000 comptes, dans un contexte où le reste de la presse écrite souffre. Ou encore les quotidiens régionaux, jugés plus influents encore qu'il y a trois ans, et qui montrent l'attachement des Français aux titres de proximité.
Évolution des usages
L'autre enseignement de la version 2021 de notre enquête, c'est la progression massive des médias numériques, qu'il s'agisse de web TV, de chaînes YouTube, de pure players ou de médias vidéos diffusés sur les réseaux sociaux tels que Brut et Konbini, cités pour la première fois cette année par 2 % des répondants. Ces résultats collent à l'évolution des usages et au recours toujours plus important au smartphone pour s'informer. Un passage obligé pour tout attaché de presse. « Il y a Brut, Konbini, mais aussi Fraiches, Simone ou Melty, des médias qui plaisent aux adolescents et aux jeunes adultes, et qui permettent d'aller les chercher sur leurs centres d'intérêt, comme le féminisme, ou la pop culture », détaille l'attachée de presse free-lance Clémence Seibel.
Après le petit écran, c'est d'ailleurs la presse Internet qui est jugée la plus influente sur les ventes d'ouvrages pour la jeunesse, un segment encore trop rarement présent dans les journaux généralistes ou dans les émissions culturelles. En parallèle du discours médiatique autour des livres mené par des journalistes, une autre conversation, plus horizontale, se crée entre lecteurs, dont certains deviennent influenceurs. « Je n'ai jamais acheté autant de livres que depuis que je suis sur Instagram, c'est un formidable outil de veille », raconte Christelle Rogues, éditrice dans le secteur médical qui a décrypté le phénomène Bookstagram dans un article paru en mars dans la revue Communication et langages.
Bien organisé, avec ses bookstagrameurs stars (MademoiselleLit, 70 000 abonnés), ses mises en scène codifiées (thé fumant, fleurs coupées) et même ses prix littéraires (le prix VLEEL), Instagram, réseau social taillé pour le livre, pourrait pourtant se faire voler la vedette par TikTok. Derrière le hashtag #BookTok, des adolescents créent de courtes vidéos pour partager leurs coups de cœur littéraires, visionnées parfois plus de cinq millions de fois. Et avec une réelle incidence sur les ventes expliquait en mars le New York Times, citant l'exemple de We Were Liars, de E. Lockhart (Nous les menteurs, Gallimard Jeunesse), paru en 2014 et qui est subitement remonté dans la liste des meilleures ventes l'été dernier grâce à une vidéo de deux sœurs britanniques de 13 et 15 ans. TikTok, à retrouver dans la prochaine enquête Livres Hebdo/Xerfi/I+C ?