Belin entame le 10 octobre avec les quatre premiers volumes la publication d'une Histoire de France qui en comptera treize, et dont les derniers seront édités en mars 2011. Cette entreprise intervient au moment de la réédition de toute l'Histoire de France de Michelet, suivie de celle de Lavisse, avec une préface de Pierre Nora, aux Equateurs. Il ne s'agit pas seulement d'une initiative d'éditeur : ce retour est significatif d'une interrogation sur l'écriture de l'histoire, et sur les grands anciens, estime François Dosse. Historien, auteur d'une thèse sur l'école des Annales, il continué à s'intéresser à l'écriture de l'histoire, tout en orientant ses recherches vers le structuralisme et la pensée de Paul Ricoeur.
La France éternelle a fait place à une réflexion sur la France
François Dosse ne voit pas dans ces rééditions le signe d'un retour nostalgique au cadre étroit d'une histoire nationale : «La réflexion introduite par Pierre Nora dans Les lieux de mémoire a aussi contribué à transformer la façon dont on écrit l'histoire de France, qui n'a plus rien à voir avec l'objectif de Lavisse : ce n'est plus une identification avec une France éternelle, mais une interrogation de l'objet sous tous ses angles, c'est une histoire réflexive, au second degré».
Une synthèse comme celle de Belin n'a rien à voir non plus avec le projet de musée de l'histoire de France, qui s'inscrit bien dans ce courant d'histoire nationale, d'histoire bataille et événementielle, mais pour des raisons clairement politiques : il doit être prêt pour 2012, et accompagner le plan de réélection de Nicolas Sarkozy.
"Parents, on n'apprend plus l'histoire à vos enfants"
«L'historiographie des années 80 avait bien été marquée par un retour vers la maison France, dont l'événement fondateur fut l'interview d'Alain Decaux en 1979 dans Le Figaro magazine, titrée "Parents, on n'apprend plus l'histoire à vos enfants"», rappelle François Dosse.
«La réforme Haby, pour le collège, avait entraîné des modifications dans tout le cursus de l'enseignement : l'histoire était devenue une simple matière d'éveil au primaire, et elle était passée à l'oral au bac. Son contenu était devenue très fragmenté. C'était aussi devenu un sujet de grand débat national, les gaullistes s'en était emparé, l'ancien premier ministre Michel Debré vilipendait "l'histoire bradée". L'année du patrimoine avait été lancée en 1980 dans ce contexte. J'avais moi-même écrit à cette période L'histoire en miettes».
"Hachette avait mobilisé les grands universitaires du moment"
«François Mitterrand avait demandé un raport à René Giraud, et fait dire par Max Gallo qu'il était très angoissé par l'état de l'enseignement de cette discipline dans le pays. Ce grand débat public avait entraîné un recentrage sur l'histoire de France, dans toutes les maisons d'édition. Même Fernand Braudel y est venu, avec un ouvrage inachevé sur L'identité de la France, alors qu'il avait conceptualisé la fin de l'histoire nationale».
«Hachette avait mobilisé les grands universitaires du moment, pour une Histoire de France en cinq volumes, écrite par Maurice Agulhon, Georges Duby, François Furet, et Emmanuel Leroy-Ladurie", publiée entre 1987 et 1991. Le Seuil avait aussi publié une Histoire de la France en quatre volumes, de 1989 à 1993».
«On peut aussi placer dans ce mouvement Les lieux de mémoire, le monument de Pierre Nora ; même si le projet de départ n'est pas parti de ce débat sur l'enseignement de l'histoire en France, il est rattrapé par cette question lorsqu'il termine ce travail, passé de trois volumes dans le plan initial à sept. Et les trois derniers tomes sont intitulés Les France»
Depuis 1970, Larousse avait pour sa part édité une Histoire de la France des origines à nos jours, en trois volumes, sous la direction de Georges Duby, reprise et constamment rééditée sous diverses formes (beau livre, texte seul In Extenso, depuis l'an dernier en «Bibliothèque historique»). Ces grandes publications ont bien sûr été reprises en clubs, voire en poche.
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voir aussi Livres Hebdo 791 du 2 octobre 2009 (p. 22)