L'édition résiste plutôt bien en général, mais "la non-fiction est nettement plus à la peine", écrit-il dans son analyse, disponible sur le site de La Découverte et publiée dans le numéro 24 de la revue. "Sur cent titres s'étant vendus de 18 300 exemplaires (le 100e : Aimer en vérité de Pierre-Hervé Grosjean) à 603 300 exemplaires (le 1er : Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler, un score historiquement hors normes), quatre-vingt-sept se sont vendus à moins de 50 000", précise-t-il à partir des chiffres des meilleures ventes en 2014 publiés par Livres Hebdo. Sur cet ensemble, moins d'une dizaine de titres relèvent de la politique, les autres illustrant toute la diversité de la non fiction (auteurs vus à la télé, humour, développement personnel, témoignages, etc.).
En politique, Le Suicide français d'Éric Zemmour, est 2e (338 200 exemplaires), "mais les sept autres bonnes ventes sont celles d'auteurs classés à gauche, de Thomas Piketty (114 400 exemplaires pour Le Capital au XXIe siècle, s'ajoutant à près de 100 000 ventes en 2013) à Cécile Duflot (18 300 exemplaires pour De l'intérieur), en passant par Pierre Rabhi, Edwy Plenel, Jean-Luc Mélenchon et Plantu", ce que François Gèze estime cependant être une "maigre récolte".
Il ne faut pas en déduire pour autant que des éditeurs de droite ou d'extrême-droite se porteraient bien, "car cette catégorie n'existe tout simplement pas. Ce qui existe en revanche, ce sont les éditeurs dénués de la moindre conviction politique et qui publient aujourd'hui plus qu'avant des auteurs de droite nauséabonds parce que c'est bon pour le business", assène l'ancien patron de La Découverte.
Best-sellers de gauche
Et il y a toujours des best-sellers de gauche, rappelle-t-il, à commencer par Indignez-vous, de Stéphane Hessel (4 millions d'exemplaires dans le monde, dont la moitié en France) même si c'est un cas particulier en raison de son format et de son prix, mais aussi La Stratégie du choc (Naomi Klein, Actes Sud), Le Monde selon Monsanto (Marie-Monique Robin, La Découverte), les livres des sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (Le Président des riches, La Violence des riches, aussi à La Découverte), le Manifeste des « Économistes atterrés » (Les liens qui libèrent), ou encore, porté par une paradoxale promotion policière, le succès L'Insurrection qui vient (La Fabrique).
Il y toutefois lieu de s'inquiéter, en raison de l'érosion des grands lecteurs, anciens soixante-huitard, appartenant à une base sociologique qui ne se renouvelle plus, même si la multiplication de lecteurs moyens ou faibles a partiellement compensé la réduction de ce socle. Car François Gèze voit aussi un signe d'espoir dans "l'extension, au fil des années, des ventes de livres contribuant à nourrir la pensée critique", tels ceux de Frantz Fanon, Judith Butler, Hartmut Rosa, Matthew Crawford... et dans "l'inscription dans la durée de « petits » éditeurs se revendiquant de la gauche radicale, comme Agone, Amsterdam, L'Échappée, La Fabrique, Les Prairies ordinaires, Syllepse, etc."
Ils trouvent leurs lecteurs parmi "celles et ceux, jeunes et moins jeunes, de plus en plus nombreux, qui sont entrés en résistance face au rouleau compresseur de l'idéologie individualiste néolibérale", alors qu'apparaît une nouvelle génération d'auteurs, "des jeunes chercheur(e)s et journalistes qui sortent justement des sentiers battus de la pensée dominante et des médias mainstream. Autant d'évolutions qui offrent des perspectives nouvelles aux éditeurs de gauche, lesquels devront toutefois être imaginatifs pour penser de nouvelles formes de livres, adaptées aux exigences de l'époque", conclut François Gèze.