Livres Hebdo : Vous connaissez intimement les mécanismes européens, et Leur Europe s’adresse aux adolescents. Pourtant, l’Union européenne que vous décrivez semble bien compliquée…
François Hollande : Oui, c’est vrai, vous avez bien lu. C’est parce que c’est compliqué que j’ai voulu faire ce livre. En faisant en sorte de clarifier les choses, mais sans occulter la réalité. Car la réalité, c'est que l’Europe, ce n’est pas comme la France. Les institutions ne sont pas les mêmes, les modes de décisions sont différents. Les budgets sont incomparables ; celui de l’Europe est tout petit par rapport à sa taille et sa richesse. Les décisions supposent de longues négociations. Elles doivent être prises à la fois par le Conseil européen et par le Parlement, et mises en œuvre par la Commission européenne. Donc qui fait quoi ? La défiance à l’égard de l’Union européenne est souvent liée à cette méconnaissance. Dans une démocratie, les citoyens cherchent le responsable. Ils veulent s’adresser au président, au Premier ministre… Dans l’Union européenne, vers qui se tourner ? Vers les chefs d’État et de gouvernements ? mais ils sont 27 ; vers la Commission ? mais elle est composée par les États membres et doit être approuvée par le Parlement. Et qui est votre député ? Souvent, on ne le connaît pas. C’est donc parce que l’Europe est une machine bien étrange que je tenais à l’expliquer.
Il y a quelque chose de modeste dans l’intitulé de la collection dans laquelle vous publiez Leur Europe, après avoir publié Leur République et Leur État : « Quand ça va, quand ça va pas... » Alors qu’on est plus habitués à ce que les hommes politiques affirment : « On va faire ça, et ça va aller… »
Ces livres ne sont pas des plateformes électorales ou des livres de propagande. Leur Europe est là pour dire la réalité de ce qu’est l’Union européenne, ce qu’elle a pu changer dans notre vie de manière positive. Mais aussi pour constater ce qu’elle a mal fait ou n’a pas fait. On se plaint parfois de telle ou telle norme venant de l’Union européenne. Mais l’Europe est surtout critiquée pour ce qu’elle ne fait pas. On voudrait qu’elle en fasse davantage pour harmoniser les situations sociales entre chacun des pays, pour qu’existent des impôts européens qui donnent à l’Union des moyens d’investir davantage pour son avenir ou sa sécurité, ou qu’elle soit organisée pour mieux maîtriser l’immigration sans remettre en cause nos principes… C’est souvent l’inaction européenne qui explique la déception des citoyens.
Cette forme fait que vous développez assez peu vos orientations pour rendre l’Europe un peu plus social-démocrate. Vous ne dites pas : « Il faudrait… »
M’adressant aux jeunes et même aux enfants, je ne voulais surtout pas leur donner un prêt-à-penser, mais les conditions pour penser librement. Je laisse sans doute filtrer mon espoir de ce que pourrait faire l’Europe. Mais je souhaite avant tout que les jeunes s’intéressent à l’Europe pour ce qu’elle est aujourd’hui, en espérant qu’elle sera différente demain. Car en réalité, l’Europe, c'est ce que les générations suivantes décideront d'en faire.
Vous avez publié six livres depuis que vous n’êtes plus président de la République, on loue vos qualités de commentateur de la vie politique, vous avez écrit dans le Le Matin de Paris plus jeune… Seriez-vous un journaliste-écrivain à la vocation contrariée par un destin politique ?
Non, ma vocation, c'était de faire de la politique. Mais la politique, c'est de l’écriture. Dans la grande tradition républicaine, c'était même un devoir pour ceux qui avaient exercé de hautes fonctions ou qui prétendaient y accéder que de publier leurs idées ou de livrer leurs mémoires. Chez les socialistes, il y en a eu de célèbres : Jean Jaurès avec une histoire de la Révolution française en plusieurs volumes, Léon Blum avec plusieurs livres, dont un sur le mariage. François Mitterrand, et ses ouvrages dont la qualité littéraire était reconnue. L’écriture n’est pas un commentaire, c’est une pédagogie, une illustration de l’action. C’est une façon de démontrer un engagement au service d’un projet. Je ne conçois pas la fonction politique sans une partie consacrée à l’écriture.
« L’indépendance des maisons d'édition me paraît essentielle pour la liberté d’opinion et d’expression. Tout doit être fait pour éviter une forme de monopole privé. »
Nicolas Sarkozy est administrateur du groupe Hachette, Laurent Berger lance une collection aux éditions de l’Aube... Vous imagineriez-vous éditeur ?
Non, la politique s’exerce dans les canaux qui lui sont réservés : les partis, les institutions. Et, pour ce qui est des activités éditoriales, à travers la publication de ses propres livres. Si la politique s’invite dans les maisons d’édition ou si des intérêts économiques sont au service d’une philosophie politique, il y a un risque pour le pluralisme. L’indépendance des maisons d'édition me paraît essentielle pour la liberté d’opinion et d’expression. Tout doit être fait pour éviter une forme de monopole privé. C’est ainsi que grâce à l’Europe et aux lois anti-concentration, le groupe Bolloré a dû céder Editis pour garder Hachette.
Vous avez publié trois livres chez Stock, qui est une maison du groupe Hachette… Est-ce que cela pourrait se reproduire ?
Mon éditrice, Sylvie Delassus, que j’avais rencontrée alors qu’elle était chez Laffont, a quitté Stock pour Albin Michel ; donc je la suivrai, car je suis fidèle en amitié.
Vous devez publier dans quelques mois une histoire de la gauche au pouvoir chez Perrin. Comment ce livre s’articule-t-il aux précédents ?
Je suis un passionné d’histoire depuis longtemps. Mais je ne cultive aucune nostalgie. Ce qui m’intéresse, c'est de restituer comment la gauche, en acceptant le pouvoir, a fait avancer le pays. Car il y a toujours un risque de gouverner ; les socialistes, plusieurs fois, l’ont pris et, forcément, ont rencontré des difficultés face à la réalité. Alors, quelles leçons tirent-ils de ces expériences ? Cet exercice sert à comprendre et à préparer la suite. Je commence par le Bloc des gauches de 1898. Parce que c’est l’affaire Dreyfus qui va faire que les socialistes vont décider pour certains de participer au pouvoir, pour d’autres, de soutenir un gouvernement pour la défense des droits fondamentaux et pour la sauvegarde de la République.
Vous êtes très présent dans les salons, vous signez régulièrement en librairie, vous aimez rencontrer vos lecteurs. Pourquoi ? Est-ce pour prendre le pouls du pays, comme on dit ?
En France, les librairies sont de très beaux lieux, et la plupart sont dans nos territoires bien au-delà de Paris. Rencontrer des lecteurs, ce sont des moments privilégiés. Je parle à des gens qui ne pensent pas forcément comme moi, mais qui viennent en moins d’une minute d’échange me confier un sentiment ou une réflexion. C’est un retour « en direct » de ce que vivent les citoyens… Grace aux séances de signatures qui avaient suivi la sortie des Leçons du pouvoir (Stock, 2018), j’avais décelé une colère… Je n’avais pas anticipé les Gilets jaunes, mais je sentais quelque chose de cette nature.