Ce matin-là, il est descendu de la butte Montmartre à pied, malgré le brouillard qui ne se lève pas complètement. En arrivant chez Gallimard, son éditeur historique, François Sureau ne retire pas son caban et va directement s'asseoir dans le jardin, sur un banc de pierre, où il pourra fumer la pipe, ses doigts noirs de tabac engourdis par le froid. Un admirateur de Charles de Foucauld et Saint-Exupéry ne vit pas confiné, même au cœur du 6e arrondissement, et même en dépit du tournant prestigieux et pailleté que semble prendre sa vie ces derniers temps. Voilà un an que le prolifique écrivain a cédé à Antoine Gallimard et a rejoint le très sélect comité de lecture de la vieille maison. Il vient aussi d'y prendre les rênes d'une collection, « Ma vie avec... », qu'il inaugure lui-même avec Ma vie avec Apollinaire. Enfin, dernier épisode de ce nouvel essor : le 15 octobre dernier, François Sureau, a été élu à l'Académie française.
À 63 ans, ce « recentrage » soudain sur le milieu des lettres est lié, dit-il, au sentiment de « ne plus avoir l'éternité devant soi ». « Il n'est pas très ambitieux, sinon, il se serait jeté dans la haute finance ou se serait vraiment lancé en politique », confirme son amie de toujours et première éditrice, Teresa Cremisi. Ex-haut-fonctionnaire, puis avocat et ardent défenseur des libertés publiques devant les plus hautes juridictions - Conseil d'État et Conseil constitutionnel - au côté de Patrice Spinosi, dont il est l'associé depuis 2014; avocat de François Fillon et conseiller d'Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle de 2017; prof à Sciences-po, éditorialiste à La Croix, engagé auprès des demandeurs d'asiles au sein de l'association Pierre Claver, qu'il a fondée avec sa femme... François Sureau a déjà eu mille vies, dont il continuerait juste, à l'en croire, de tourner les pages. Ainsi vient-il de renoncer officiellement à sa carrière d'officier de réserve de la Légion étrangère, malgré l'aura de mystère que l'uniforme lui conférait. « Ironiquement, c'est lorsqu'il a reçu la croix militaire, qui signifie son adieu aux armes, qu'il a repris le sabre, la parure académique », résume son ami, l'avocat Antonin Levy. « Je me rends compte, maintenant, que le reste - conseiller d'Etat, avocat, militaire... - était assez périphérique, confie François Sureau. Cela m'a assuré une vie matérielle. Ma vie en dehors de la littérature a été dictée par le souci de faire de la littérature ».
Il y retourne, à plein temps donc, astre plus que jamais courtisé d'une petite galaxie germanopratine qui « le reconnaît définitivement comme l'un des siens », se réjouit son ami de 40 ans, l'historien Emmanuel de Waresquiel. François Sureau avait déjà tenté d'entrer à l'Académie française en 2004, à 46 ans. Benjamin d'une petite bande académique qui comptait Jean d'Ormesson, Jean-Marie Rouard, Maurice Rheims, il avait largement perdu contre Alain Robbe-Grillet, le père du Nouveau roman. « J'étais trop jeune pour être immortel », concède t-il aujourd'hui. Rembruni par cet échec, il n'en avait plus parlé. Jusqu'à l'année dernière, lorsqu'il a croisé son vieil ami du Conseil d'Etat, l'écrivain académicien Marc Lambron. « On est allé aux Deux Magots où pendant 1 heure 30 je l'ai soumis aux tentations de la fièvre verte, raconte ce dernier. Je lui ai dit qu'il y a des sociétés de pensées qui sont honorables : c'est beaucoup plus primesautier, plus ludique qu'on pourrait le penser. C'est une assemblée de personnages déjà exaucés ! Personne ne toise personne. Et puis... Cela vous relit aux grands anciens, vous entrez dans une sorte de sacralité littéraire ». Ensuite, c'est une autre vieille connaissance, Xavier Darcos, ex-ministre de Jean-Pierre Raffarin, chancelier de l'Institut de France, latiniste et immortel depuis sept ans, qui est venu le voir. Barbara Cassin, Michel Zink, d'autres compagnons de longue date qui siègent aussi sous la coupole, ont aussi été dépêchés. « L'Académie ne peut pas être un tombereau d'écrivains inconnus. Il fallait un peu de sang neuf : c'est intéressant pour l'institution d'avoir une figure comme la sienne », décrypte l'un de ses proches.
Après avoir fait mine d'hésiter, avoir consulté par SMS quelques amies journalistes (il est populaire à droite comme à gauche, de Causeur à Mediapart), François Sureau s'est décidé. « J'ai vu s'effacer les institutions : un parlement atone, un gouvernement égaré, le spectre du populisme... Or, quand les institutions sont fortes, le devoir de l'écrivain est sans doute de rester à l'écart. Quand elles sont affaiblies, c'est sûrement de les soutenir », plaide-t-il. Et puis, Joseph Kessel a bien été académicien. Il a écrit aux 33 immortels, comme c'est l'usage, pour leur annoncer sa candidature. « J'ai eu l'impression d'être accueilli par des gens qui assez souvent ne partageaient pas mes idées, comme Alain Finkielkraut, mais qui trouvaient très bien que je les exprime », dit-il. Très bien élu (avec 18 voix), il occupera le siège 24, celui de Max Gallo, Jean de La Fontaine et de Louis Pasteur. Il n'a pas encore choisi ses deux parrains, mais pense à une marraine, l'écrivaine Florence Delay, « qui a un côté très indigéniste, très à gauche et très spirituel en même temps », et qui a traduit son livre, Le chemin des morts en langue basque. « J'aime bien que l'Académie ne serve à rien. Ce sera pour moi un club qui rompt la solitude de l'écrivain, tous les jeudis », conclut-il.
Cela fait sourire Marc Lambron : « Il prend de la surface dans le milieu des lettres, malgré sa tentation de l'ascétisme. Il a hésité entre le fait de vivre loin de l'établissement, comme auteur, et le fait d'être un homme de service, la tentation de l'action ». François Sureau est en position de devenir un homme d'influence des sphères littéraires, quoi qu'il en dise (« J'ai placé tous les pions pour l'être, sauf le pion essentiel: le désir de l'être ! Je n'ai pas de bureau chez Gallimard ! »). Au comité de lecture, il usera de sa voix pour aider « une vision plus variée, étendue et mélangée du monde à advenir : j'ai réalisé que des auteurs contemporains que j'admire (Hédi Kaddour, Jean Rolin, Amin Maalouf ou Dany Laferrière), je les avais lus par hasard, par raccroc, alors que j'avais passé ma vie avec Pascal et Chateaubriand. J'ai envie de lire des manuscrits ». Et d'en commander: « L'idée de la collection "Ma vie avec" repose sur cette question, que j'aimerais poser à plein de monde: "avec qui vivez-vous ?". Comme un outing, j'aimerais savoir qui a donné des leçons de vie au biologiste Jean-Claude Ameisen, à Alain Minc, Sylvain Tesson, Julia Kristeva »... ou à Bernard Cazeneuve, l'ex-ministre de l'Intérieur dont François Sureau, à coup de plaidoiries ciselées, à si souvent dénoncé les lois sécuritaires, et qui s'est déjà lancé dans un croustillant Ma vie avec François Mauriac... « J'ai commencé à appeler des gens, et ça mord ! » confie François Sureau. « On a lancé"Ma vie avec..." Marx, la comtesse de Ségur, Green, Stravinsky... ». L'éternité ne devrait pas être de trop.
Encadré bio
19 septembre 1957 : naissance à Paris.1981 : François Sureau entre comme auditeur au Conseil d'Etat, où il restera jusqu'en 1995. 2004 : il devient officier de réserve de l'armée de terre. 2008 : Avec sa femme, Ayem Sureau, il fonde l'association Pierre Claver, qui accompagne les demandeurs d'asile dans leur découverte de la France. 2014 : Il devient avocat près le Conseil d'état et la Cour de Cassation et s'associe avec Patrice Spinosi. 2020 : il quitte l'Etat-major des armées, fait son adieu aux armes et est élu le 15 octobre à l'Académie française. 14 janvier 2021 : parution de Ma vie avec Apollinaire (Gallimard) dans la collection qu'il dirige.