Séléné est née en 40 avant Jésus-Christ des amours de la reine d'Égypte Cléopâtre avec le général romain Marc Antoine. Vaincus par les armées d'Octave (futur empereur Auguste), Cléopâtre et Marc Antoine se suicidèrent, et Séléné fut emmenée et élevée à Rome, hôte de la famille impériale, les fameux Julio-Claudiens. C'est là qu'elle fit la connaissance de Juba, fils du roi de Numidie Juba Ier, hôte de Rome également. Auguste les maria en l'an 20 av. J.-C., et donna au jeune homme, âgé alors d'une trentaine d'années, le royaume de Maurétanie, en Afrique du Nord, recouvrant l'Algérie et le Maroc actuels, avec pour capitale Césarée (l'actuelle Cherchell). Le mariage, arrangé et politique, semble avoir été une authentique histoire d'amour, le roi laissant à sa reine (qu'on appelle aussi parfois Cléopâtre VIII) une large autonomie, et une réelle influence sur les affaires du royaume. Elle fut une grande bâtisseuse, embellissant leur capitale de monuments importants : notamment un théâtre et un temple d'Isis, la déesse égyptienne à qui elle vouait un culte fervent. Juba, lui, était un intellectuel, un philosophe épicurien, très sceptique vis-à-vis des dieux. Il écrivit de nombreux essais, des livres d'histoire (sur les Assyriens, par exemple), tous perdus hélas, à l'exception de quelques vers d'une épigramme composée pendant un dîner.
La différence entre les deux époux, c'est que si Juba était un prince romanisé, qui resta toujours fidèle à son serment d'allégeance et guerroya au service de l'Empire, Séléné, elle, descendante des Ptolémées chassée de son trône, vouait une haine féroce à Auguste, responsable de la mort de ses parents ainsi que de la soumission de l'Égypte à Rome. Ils eurent plusieurs enfants, dont enfin, en l'an 1 av. J.-C., un fils, Ptolémée, l'ultime, qui régna jusqu'en 40, avant d'être assassiné, à Rome, sur ordre de Caligula. Juba II, lui, était mort en 23 à Tipasa, enseveli dans le mausolée de sa famille. Mais quand est morte Séléné ? La plupart des historiens s'accordent vers 5 après Jésus-Christ. Juba s'étant remarié ensuite. Françoise Chandernagor n'est pas de cet avis, qui la fait survivre à son époux, et mourir sous les coups des soldats romains. C'est bien plus romanesque, évidemment, et permet à la romancière d'achever ainsi sa tétralogie intitulée La reine oubliée, commencée en 2011 avec Les enfants d'Alexandrie. Comme dans les volumes précédents, l'académicienne Goncourt ne s'interdit pas des réflexions personnelles, sur l'histoire et le pouvoir notamment, ainsi que des parallèles avec le monde actuel. La Rome impériale, avec son million d'habitants, rayonnant sur le plus vaste empire au monde, ne fut-elle pas le prototype de la mondialisation, de la globalisation, de la civilisation triomphante, conquise manu militari, puis continuée par des moyens plus pacifiques : architecture, langue, littérature, routes...
Mais le charme principal de cette entreprise littéraire érudite − rien ne nous est épargné des arcanes de la dynastie multirecomposée des Julio-Claudiens, obsédés par leur succession − réside surtout dans le beau portait de Séléné qu'a réussi Françoise Chandernagor : libre, orgueilleuse, bagarreuse, mystique, passionnée... Moderne.
La reine oubliée. Vol. 4. Le jardin de cendres
Albin Michel
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 23,90 € ; 592 p.
ISBN: 9782226453440