A force d’entendre ses lecteurs regretter qu’il ne parle pas davantage de lui dans ses livres, il a fini par céder. "Après tout, la confession est un genre philosophique depuis saint Augustin et Rousseau. Et Montaigne, mon maître, ne dit-il pas qu’il est la matière de son livre ? Il a même pour cela inventé l’essai." Nulle forfanterie pourtant chez ce philosophe à prétendre se hisser au niveau de ces figures tutélaires. D’ailleurs sur son nouveau livre présenté comme un "récit" il reste circonspect. "Je ne sais qu’en penser. Quelle est la frontière entre la philosophie et la non-philosophie ?" Lui-même n’a jamais été vraiment compris par ses pairs. Les écrivains ne l’ont pas reconnu non plus. "J’ai toujours fabriqué des essais dans lesquels je glissais des humeurs, des divagations et aussi des analyses qui se tiennent du point de vue de la raison."
C’est ce mélange qui a installé Frédéric Schiffter à part, avec des lecteurs fidèles, attentifs à ses coups de bourdon, son ironie délicate, son cynisme élégant et son sens de la dérision. Là où ses collègues convoquent le bien, le mal, lui recherche un coin tranquille et la présence des femmes. Dandy mélancolique, penseur atrabilaire et brillant styliste, il s’est imposé tel un Cioran surfeur qui se définit non pas comme un sage, mais comme un amateur d’incertitudes.
Humeur triste
Tout cela n’est pas sérieux. Et pourtant dans On ne meurt pas de chagrin il est question de la mort de son père dans les bras de sa maîtresse. Frédéric Schiffter avait 10 ans. "C’est un vide qui choque. J’en ai rêvé toutes les nuits jusqu’à la naissance de mon fils." Cela s’est traduit par des vagues de tristesse, la dépression de sa mère, la solitude. "Les crises de tristesse, c’est quand un mort nous visite. J’ai simplement pu identifier le mien. C’est pourquoi ce livre s’exprime sous la forme de la Lettre au père de Kafka. J’ai tenté de m’y décrire en prenant pour modèle L’âge d’homme de Michel Leiris."
On peut aussi y voir un essai sur le chagrin. "Le chagrin, c’est enfantin. Un chagrin d’amour rappelle quelque chose de l’enfance." Puis le chagrin se mue en mélancolie et devient une humeur triste. "Dans ces moments de léger cafard, je ne saurais dire si je me perds dans mes pensées ou si des pensées se perdent en moi." Frédéric Schiffter fait la même distinction entre la paresse et la flemme. "La flemme, c’est la pesanteur qui vous prend alors que la paresse est voluptueuse." Evidemment il se dit flemmard. Quand la pesanteur s’allège, après avoir parlé de Chamfort ou de Kant à des élèves conquis, il écrit. "Je charme mes vieux démons." Pour cela, il lui faut Biarritz, l’océan, le vent, la sieste. "Que voulez-vous, je suis un balnéaire."Laurent Lemire
Frédéric Schiffter, On ne meurt pas de chagrin, Flammarion, Prix : 19 euros, 240 p., Sortie : 6 janvier , ISBN : 978-2-08-133302-4