Artistes contre artisans. Le débat est aussi vieux que la main. Sauf que la main est aujourd'hui méprisée, sauf peut-être au hand-ball. Historien de l'art, Stéphane Laurent (université de Paris Sorbonne) se propose de nous relater les tensions entre ces deux mondes pas si éloignés. Elles remontent non pas à la Renaissance, mais au XIII^e siècle, lorsque les architectes, les sculpteurs et les peintres envisagent de se regrouper en académies contre les corporations pour faire reconnaître leur différence d'avec les artisans. C'est désormais moins le geste que l'attitude qui prime. Il n'en fut pas toujours ainsi.

A l'origine, le geste de l'artisan est lié au sacré et l'objet qu'il conçoit est source de convoitise. On rapporte ainsi que Sénèque aurait payé une table de bois incrusté l'équivalent de 661 000 euros actuels... Longtemps les princes ont préféré leurs orfèvreries aux fresques. Dans les deux cas, il est question de rareté et souvent même de pièces uniques. L'élite intellectuelle ne faisait alors pas de différence entre un objet sublime et une statue admirable. Mais le temps et l'économie ont fini par opposer arts décoratifs et beaux-arts en reléguant la main au rang de savoir-faire. Pour l'élite, il fallait désormais faire savoir qu'on possède une œuvre et la montrer.

Le travail de la main devenait manuel tandis que celui de l'artiste prenait date. Dans cet essai audacieux, Stéphane Laurent traverse les siècles, les cultures et les œuvres pour brosser son Le geste& la pensée. Artistes contre artisans de l'Antiquité à nos jours. Il le fait à sa façon, en prenant le temps de présenter sa documentation abondante, de la discuter et de recouper les sources. A sa manière, il rend un bel hommage à la patience de l'artisan.