Le jour d'après

Géraldine Lefèvre : “il va falloir se réinventer”

Géraldine Lefèvre - Photo DR.

Géraldine Lefèvre : “il va falloir se réinventer”

Quatorzième épisode du feuilleton de Livres Hebdo "Le jour d'après"rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui, Géraldine Lefèvre, directrice de la lecture publique de la Communauté de communes du Vexin normand.

Par Michel Puche
Créé le 12.05.2020 à 20h00

« Voilà, nous y sommes au « jour d’après ». Le temps s’est arrêté, ici aussi, comme dans beaucoup de bibliothèques, le 14 mars, comme en témoigne la pendule de la ludo-médiathèque d’Etrépagny, Grand Prix Livres Hebdo 2019 des bibliothèques francophones, dont l’aiguille ne court plus. Ce 14 mars, la journée avait été très chargée : les lecteurs ont fait le plein ! Et ils ont eu raison… Nous les retrouverons dès mardi, sur rendez-vous et donc beaucoup moins nombreux. 

Le protocole de reprise d’activité des bibliothèques est prêt, validé par les tutelles et les équipes. Chacun a donné le meilleur de lui-même dans cette préparation, la plupart des collègues ont même un discours positif sur notre capacité à s’adapter, à nous renouveler.
Notre petit réseau, une bibliothèque, une ludo-médiathèque, un projet de médiathèque contemporaine :  autant de projets différents mais complémentaires et pensés comme des lieux de rencontres, de partage, de loisirs, de citoyenneté, de formation, de convivialité. Des lieux qui ne sont pas, et ne doivent pas devenir, de simples endroits où l’on prête des livres.

Et pourtant, il faudra bien limiter l’accès aux retours et aux emprunts, accueillir, porter un masque, organiser un service de drive, gérer des réservations depuis le portail, ne pas jouer sur place, ne pas organiser de rencontre ou d’atelier, ne pas accepter les enfants (dans un premier temps), mettre les documents en quarantaine, respecter et faire respecter le plan de circulation, et tellement d’autres choses encore...

« La priorité, c’est de prêter des documents »

Tout cela est nécessaire afin de garantir la sécurité de tous, mais ces adaptations sont-elles amenées à se pérenniser ? Nul ne le sait, et pourtant chacun a en tête que ce ne sera plus comme avant. Le 14 mars avec la fermeture des bibliothèques et le confinement qui a suivi, l’arrêt a été brutal, rapide, nous n’avons pas eu le temps d’imaginer, de créer autre chose.  Pourtant, pendant ces quelques semaines, les bibliothécaires ont fait preuve d’imagination pour tenter de garder le lien : médiation sur les ressources numériques, développement à la hâte de nouveaux services, lectures à voix haute avec le soutien bienveillant de quelques auteurs et maisons d’édition. Est-ce suffisant ? Qu’aurions-nous pu faire d’autre ?

On sent bien que la priorité, l’urgence de ce déconfinement pour les bibliothèques, c’est de prêter des documents. Mais qu’en est-il de la création de lien social entre les habitants, du partage entre les usagers, de la lutte contre la fracture numérique, de l’action culturelle, de l’éducation aux médias, pour ne citer que quelques-unes des missions des bibliothèques pour lesquelles il va falloir se réinventer ?

L’importance du numérique et du multimédia, depuis de début de cette pandémie, laisse à penser qu’il va falloir augmenter l’offre de ressources, la formation, la communication à distance.  Il va falloir multiplier ces compétences au sein des équipes par des formations ou des recrutements ciblés. L’idée serait qu’une déclinaison soit possible à distance, pour chaque projet, afin d’éviter d’avoir à revivre les annulations en série de ce printemps. Cela pose encore beaucoup de questions. Nos conteurs accompagnés de musiciens qui font déambuler le public à la découverte d’un village, lors de notre festival de conte de juillet trouveront-ils le même engouement dans un live sur les réseaux sociaux ?

Pour cette réouverture en mode dégradé, comme elle a été nommée dans les documents édités par les associations professionnelles, nos espaces ont été rapidement réorganisés : retirer des places assises, installer des dispositifs de distanciation sociale comme l’hygiaphone qui avait disparu de nos services publics. Est-ce tenable dans la durée ? Et surtout, dans le cadre des réflexions à mener autour d’un projet de nouvel équipement : quels choix faire, alors même que le programme, presque bouclé, prévoyait une forte proximité entre l’usager et les agents ?

Le budget 2020 à peine voté, cette crise sans précédent, est venue bouleverser les projets : annulation des évènements et retard dans les travaux. Les subventions seront-elles accordées dans les mêmes mesures ? Il faut d’ores et déjà penser à soutenir tous les acteurs de la culture : artistes ou libraires. Il nous faut, aussi, envisager que peut-être, si ce n’est en 2020, ce sera en 2021, ces crédits seront revus à la baisse selon les choix à prioriser par les collectivités. Il faudra aussi redéployer nos budgets pour valoriser les actions.

« Il faudra innover »

Enfin, quid des expositions ? Le 13 mars, nous proposions le vernissage d’une magnifique exposition présentée par un atelier local de peintres amateurs : "Portraits de femme". Ce matin, les pieds de la Nana, d’après l’œuvre de Niki de Saint Phalle, sont cachés par l’herbe bien haute et quasiment aucun usager n’aura pu l’admirer.  Il faudra, là encore, envisager, pour l’avenir, de rendre visible autrement tous ces projets.

Alors que pour certains, l’esprit « Troisième Lieu », toujours considéré comme « un nouveau modèle » est encore source d’inquiétudes et de débats sur le rôle et les missions des bibliothèques, l’ensemble de la profession est, cette fois, sur un pied d’égalité face à ce choc et ce bouleversement des pratiques. Il faudra innover, faire de la veille, évaluer ses services, et les adapter. Se donner le temps de bien faire mais sans perdre de temps ! »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vivez le jour d’après, comment vous imaginez la relance de votre activité en nous écrivant à l'adresse  confinement@livreshebdo.fr

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