Gilles Haéri - Flammarion va bien. Nous avons réalisé une belle fin d’année avec deux prix littéraires - le Renaudot pour Yasmina Reza et l’Interallié pour Serge Joncour. Une vraie satisfaction car cela vient récompenser une politique de développement littéraire initiée il y a une dizaine d’années. Nous avons aussi vu émerger des succès dans tous les secteurs : documents avec l’autobiographie de Fabrice Luchini, grand public avec le roman de Gilles Legardinier, histoire avec Elisabeth Badinter, livre illustré avec Ines de la Fressange, ou jeunesse avec la collection "Je suis en CP". J’y vois, outre un vrai signe de vitalité de la maison, une force qui est de pouvoir compter sur la variété de son catalogue.
Rizzoli a beaucoup investi dans la partie industrielle du groupe, notamment la distribution, mais leur approche de l’édition restait assez financière et court-termiste. Avec Madrigall, les perspectives ont réellement changé car Antoine Gallimard est éditeur avant d’être actionnaire. Nous raisonnons sur un temps long, celui de l’édition. Quant à mon périmètre, il n’a pas changé. Je suis chargé de l’éditorial, et les contours des maisons ont été parfaitement respectés. Nous partageons avec Antoine Gallimard le même souci de protéger les identités éditoriales et une vision très claire de ce que doit être Flammarion : un éditeur généraliste de qualité, complémentaire de Casterman et de Gallimard.
Les fantasmes inévitables nés lors du rapprochement des deux groupes se sont dissipés. Par exemple, pour le poche, J’ai lu et Folio se révèlent complémentaires. Globalement, les effets de concurrence interne sont minimes. On reste des maisons à taille humaine, on se parle. Sur le terrain littéraire, Flammarion prépare une belle rentrée 2017. Nous retrouvons Alice Zeniter, Jean-Luc Seigle ou Philippe Pollet-Villard et accueillons notamment Brigitte Giraud et Grégoire Bouillier, prix de Flore 2002.
Quand j’ai pris mes fonctions, j’ai considéré que Flammarion était en ordre de marche. Ma priorité a donc été l’accélération du développement éditorial. Une dynamique qui passe par les équipes, à la faveur d’un renouvellement avec près de 20 nominations ces deux dernières années. Ensemble, nous sommes partis d’une question simple : qu’est-ce que Flammarion ? Et je n’ai rien trouvé de mieux comme réponse que la devise d’Ernest Flammarion : "tous les savoirs pour le plus grand nombre". Aujourd’hui je souhaite qu’on reprenne à notre compte cette diversité éditoriale qui fait la légitimité de Flammarion en littérature, savoir, livres illustrés et jeunesse - nos quatre pôles dirigés par Anna Pavlowitch, Sophie Berlin, Valérie Genest et Hélène Wadowski -, de nos marques Arthaud et Pygmalion ou des maisons indépendantes : Autrement, dirigée par Emmanuelle Vial et J’ai lu, pilotée par Jocelyn Rigault.
J’hésite toujours à utiliser ce terme qui peut avoir une connotation dépréciative. La notion de grand public prête à confusion. Un livre n’est pas en soi grand public, mais si l’éditeur fait bien son travail, il peut le devenir. Notre tâche est précisément de permettre à des textes parfois exigeants de toucher au-delà de leur lectorat habituel. Etre éditeur grand public est à la fois un pléonasme et quelque chose de très noble. Je pense que Michel Onfray, Michel Houellebecq ou Fred Vargas sont des auteurs populaires au bon sens du terme. Ça n’est pas antithétique de textes de qualité. Toucher le plus grand nombre est un enjeu également porté par de nouveaux auteurs chez nous comme Gilles Legardinier qui reviendra avec une comédie en octobre, Diane Ducret, Fabrice Midal ou Mickaël Launay.
J’ai peut-être un tempérament plus rationnel et analytique que Teresa, qui est une intuitive née. Néanmoins, nous avons beaucoup de points communs, comme le goût du contact avec les auteurs et une certaine adaptabilité nécessaire dans le métier. Pendant dix ans nous avons très bien travaillé ensemble, et cela continue puisqu’elle publie toujours une dizaine d’auteurs par an comme Fred Vargas ce mois-ci ou Catherine Millet à l’automne. Je cultive effectivement un mode de fonctionnement collectif, en m’appuyant sur un comité de direction assez resserré, une équipe solide avec laquelle je travaille de longue date. Mon rôle est double : stimuler et accompagner le développement éditorial d’une part, renforcer l’unité de la maison d’autre part. Le succès d’un livre n’est jamais garanti, mais il passe toujours par une mobilisation et un enthousiasme collectifs, dont j’essaie d’être le garant en favorisant la cohésion entre les éditeurs, les services transversaux et la diffusion.
Oui, notamment par rapport aux libraires. Aujourd’hui, les méthodes traditionnelles pour faire émerger les livres ne fonctionnent plus, du fait de la dilution du pouvoir prescripteur des médias ou les limites de la publicité réservée à un petit nombre de titres. Les libraires sont devenus les prescripteurs numéro un. Nous avons donc renforcé la relation libraires et, à partir de septembre, la plupart de nos textes seront disponibles sous forme d’épreuves numériques. De plus, un travail d’incarnation et d’accompagnement plus poussé est demandé aux éditeurs. C’est un changement de paradigme dans l’acte de publier qui n’est plus taylorisé, avec un éditeur puis une attachée de presse puis le marketing, mais vraiment un travail collectif de défense des textes.
Bien sûr, le marché s’est tendu ces dernières années, mais je noterais quelque chose de plutôt rassurant : là où l’on nous prédisait une homogénéisation à l’américaine, beaucoup de succès restent très inattendus, comme En attendant Bojangles (Finitude) ou Le charme discret de l’intestin (Actes Sud). De bons livres, lancés sans marketing ostentatoire, peuvent émerger. Finalement, le système semble réguler de lui-même la dictature annoncée des best-sellers.