Culura Catalana singular i universal proclament les affiches de la Foire du Livre francfortoise. La Catalogne une et néanmoins universelle. Voilà qui rappelle notre chère exception française, elle aussi singulièrement universelle, universelle dans sa défense du singulier. Et patati, et patata. En visitant la Francfort des banques et de la Buchmesse, on s’interroge sur l’existence réelle des exceptions – surtout lorsque l’on tente de se promener dans le Centre des expositions. Car il n’y a pas de promenade . Ce sont des hectares où se dressent des « pavillons » (des immeubles), et où l’exception se répète. Au moins cinq bâtiments reliés par des navettes, des minibus et des trottoirs roulants. Avec plein de gens exceptionnellement peu exceptionnels – d’autres nous-mêmes, en quelque sorte. Je veux dire : plein de gens qui – venus de tous les continents – s’habillent en banquiers parfois vaguement bohèmes (pour les messieurs). Ou en women executive juste pas trop, décontractées juste pas moins (pour les dames). Quelques un(e) s, passéistes, se déplacent en trottinette. Un espace très global Juste en entrant, voici le gigantesque espace consacré aux invités d’honneur, qui sont évidemment les Catalans. Cet espace se perche en loggia, vaste comme un plateau de tournage : un parquet par centaines de mètres carrés dominé (comptons vingt mètres de hauteur, minimum) par une forêt de poutrelles et de rails, truffés de projecteurs, de glissières, de pinces métalliques, de câbles. Le plateau-esplanade coiffe une cafétéria, elle aussi très grande, dédiée , comme dit le sabir global , à la Catalogne. Dans cet espace repas on a mis les nappes, serviettes, etc, aux couleurs invitées : dominante orange et bordeaux. Le fait mérite d’être signalé, car l’invité catalan se caractérise ainsi par toutes sortes d’odeurs collatérales, venues des cuisines. Les livres sont donc humains. Au fond du plateau catalan se trouvent des vitrages, avec perspective imprenable sur les autres immeubles de la foire et les espaces arborés. Cette lumière d’octobre (belle, automnale et néanmoins vive ces jours-ci) ne franchit pas plus de quelques mètres. Un cercle de rayonnages, un ring d’un gris très chic, disposé en éventail, mange ici tout ce qui rappellerait le jour. Si l’on tourne autour, en suivant sa périphérie, externe ce ring catalan sert de bibliothèque. Si l’on passe à l’intérieur du ring , celui-ci offre des panneaux chronologiques : histoire et culture de Catalogne. Une sorte de Stonehenge, en quelque sorte. Mais pas encore assez vaste pour occuper les centaines de mètres carrés de parquet flottant. L’intérieur du cercle baigne dans une lumière intime. Cette lumière berce une dizaine de parallélépipèdes, qui forment parcours. Ces parallélépipèdes sont des sarcophages d’altu-alu-plexi dans lesquels reposent des livres anciens et modernes. La chronologie déployée en panneaux pédagogiques, sur la face interne du cercle, se trouve redite, au-dessus de chaque sarcophage-vitrine, par un écran plat. Chaque écran diffuse des images plus ou moins anciennes d’actualités, où les années 1930-1940 tiennent leur place prévisible. Des visiteurs visitent. Des gens se cherchent sans se trouver. Le silence règne. Diverses équipes vidéo filment pourtant ici et là. Elles ne meublent pas davantage l’immensité. Face aux oculaires et bonnettes moussues comparaissent des personnes mises en situation , c'est-à-dire devant un bout du ring : intérieur, si l’on veut une couleur d’histoire ; extérieur, si l’on veut un fond de bibliothèque éclairé de rouge catalan ou de jaune catalan. Il doit s’agir d’écrivains ou d’éditeurs, ou même de critiques. Tous, toutes, ressemblent aux banquiers bohèmes et aux executives juste-pas-trop-juste-pas-moins déjà cités : entre soixante et trente ans. Hé, c’est la classe d’âge – y’a guère d’autre choix. Ils parlent mais on n’entend rien. Tous les bruits sont absorbés par le ring et les bonnettes moussues. Les équipes sont les habituelles équipes techniques : plus ou moins lymphatiques, plus ou moins débraillées, plus ou moins concentrées sur des écrans de contrôle et des balances sonores. Sous-titré anglais En dehors du Stonehenge historiographique, la steppe accueille (à droite en entrant) une petite centaine de poufs carrés et de fauteuils vaguement Voltaire stylisés, un rien destroy. Ce mobilier forme, sans en avoir l’air, un amphithéâtre devant une scène qui n’en a pas davantage l’air, où se déroule un débat qui en a bien l’air : six auteurs et auteures qu’une animatrice déterminée mène comme elle le peut en allemand, anglais et catalan. Des rétroprojections donnent des informations complémentaires (bibliographie, références, etc). Si le regard – et le visiteur – se transportent de l’autre côté du Stonehenge (c'est-à-dire sur la gauche), il s’y trouve encore de la steppe. Celle-ci tente de se meubler par un quinconce où l’on retrouve d’autres fauteuils post-voltairiens destroys et d’autres poufs carrés, teintes bistre, gris, noir, bordeaux. Dans ce « salon », près des baies vitrées à l’impuissante lumière, des personnes concernées peuvent se rencontrer de manière informelle. Au–dessus du salon flottant, au-dessus de Stonehenge et là-bas au-dessus de l’amphithéâtre qui n’en a pas l’air, pendent des grappes de feuillets rouge, jaune, bordeaux et blancs. Ils symbolisent des livres. Ils portent des noms d’auteurs. Les folios ne dissimulent pas pour autant la merveilleuse gare de triage aérienne et ses poutrelles déjà mentionnées. A l’extrême gauche, contre la paroi, brillent enfin sept écrans plats, de beau format, en hauteur. Cette foire est aussi – tous hectares confondus- une foire de l’écran plat. Passent en continu sur ces écrans-là, ceux du plateau, des entretiens d’écrivains catalans, réalisés en plan américain fixe. Reportages qui se déroulent bien sûr en lingua catalana . Le son reste si bas qu’on n’entend rien. On peut toutefois lire les sous-titres, uniquement en anglais. Singular i universal , on vous l’a dit. Weltkatalanischereigentümlichkeit , selon les Allemands qui, jusque dans le vocabulaire, ont l’esprit fédéral. Le livre n’est pas spectaculaire Pris par l’odeur de cuisine – souvenirs de restau U – le visiteur s’angoisse de cette immensité ombreuse. Dehors, il est midi. Les quelques tours bancaires mégalomanes, peu nombreuses et sereines à force d’être puissamment singulières, se dressent dans une lumière de rêve bien plus haut qu’une avenue d’arbres, elle-même assez avenante. Le visiteur mélancolique songe à tous ces livres catalans soigneusement disposés, dont des dizaines sont excellents et certains des merveilles de fabrication. Mais il faudrait les tenir, les lire au calme, avoir du temps. C’est l’évidence. Rien de moins spectaculaire que les livres. La Buchmesse n’est d’ailleurs pas un spectacle. Sauf si l’on veut découvrir un show-room cyclopéen où figurent toutes les formules de stands, tous les modes de circulation et tous les modèles de signalétique. Les vraies belles foires sont pour les bestiaux : de superbes bêtes à corne broutent au long du chemin de halage qui longe le Main jusqu’à la banlieue de Höchst. Ici – dans les cinq immeubles de la Buchmesse – règnent les affaires. Elles sont cérébrales, parce que fonctionnelles. Bancaires. Fiduciaires, comme le papier monnaie. Ce qui réchauffera le cœur des financiers francfortois. Acheter, vendre ou lire un livre, c’est aussi un marché. De droit écrit. Où l’on tient parole, en général.
17.10 2013

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