6 février > Récit Suède

Un jour d’août 1947, à la lisière d’une forêt suédoise, près d’une usine de camions qui ne tardera pas à l’employer, un homme perdu est descendu en gare de Södertälje. Il a 24 ans et il vient d’un pays dont on ne revient pas. Il s’appelle David Rosenberg, il a grandi en Pologne à Lodz dans le ghetto juif, mais c’est à Auschwitz qu’il comprend que le monde est désormais aboli. Il a une jeune femme, rescapée des mêmes souffrances, aimante, qui le rejoindra dans ce pays qui a collaboré avec les bourreaux et ne semble pas débarrassé de toute tentation antisémite, mais qui offre la croyance en un avenir possible. Il aura deux enfants, un garçon, une fille. Pourtant, David Rosenberg restera ce voyageur sans bagages, ce passager du désastre, jusqu’à ce jour de 1960 où il décide d’aller rejoindre ses ombres qui ne le quittaient plus.

Göran, le fils de David, réalisera à sa place le rêve d’intégration de son père. Devenu journaliste et essayiste (Denoël a traduit en 2002 son essai, L’utopie perdue : Israël, une histoire personnelle), il s’est pleinement coulé dans le flux des "trente glorieuses" du modèle scandinave. Né en Suède, même s’il n’a jamais rien ignoré de la tragédie dont il était issu, même s’il s’est efforcé d’en être paradoxalement "digne", il ne pouvait empêcher son père (et ceux qui eurent à l’éprouver dans leur chair) de s’enfoncer dans le silence et finalement, la mort. L’admirable Une brève halte après Auschwitz qu’il publie aujourd’hui doit donc, au-delà même de son contexte historique, être lu pour ce qu’il est d’abord : une adresse bouleversante d’un fils à son père. Sollicitant les témoignages comme les archives, parvenant à faire revivre aussi bien le ghetto de Lodz que l’espoir oublieux d’un pays qui ne croit plus qu’aux horizons sociaux-démocrates, plaçant enfin ses pas dans celui de son père à l’heure où tout bascule dans le vide et d’abord les traces restantes du grand massacre : Rosenberg n’oublie rien ni personne. Son livre, passionnant, tragique, tient à la fois de celui de Virginie Linhart (La vie après, Seuil, 2012) et de la somme de Daniel Mendelsohn (Les disparus, Flammarion, 2007). Il est aussi exemplaire et nécessaire. O. M.

Les dernières
actualités