Un père et manque. Il y a parfois des visages qui sont aussi ceux d'une époque. Ainsi, au mitan des années 1980, ceux qui apparaissaient sur les écrans de télé chaque soir en ouverture du journal de 20h d'Antenne 2. Ces visages hâves, épuisés, incertains. Les visages des otages français au Liban, Marcel Carton, Marcel Fontaine, Michel Seurat (qui lui, tragiquement, n'en revint pas) et bien sûr, Jean-Paul Kauffmann.
Le 22 mai 1985, Kauffmann, alors journaliste reporter pour L'Évènement du jeudi, fut enlevé sur la route entre Beyrouth et son aéroport par des milices chiites se réclamant du Hezbollah et probablement téléguidées par l'Iran (autant qu'il soit possible d'y voir clair en la matière, surtout dans la pétaudière qu'était le pays du Cèdre à cette époque). L'émotion fut grande, mais ce ne devait être qu'une question de jours, au pire de semaines. En réalité, trois ans passèrent, trois ans d'angoisse, d'espoirs sans cesse déçus. À Paris et partout en France, ces trois années furent aussi marquées par une mobilisation exemplaire dont l'énergie était peut-être parfois celle du désespoir mais qui ne se démentit jamais vraiment. Une énergie qui était d'abord celle d'une famille, les Kauffmann, de deux enfants, Grégoire et Alexandre, rentrés dans l'adolescence avec l'absence de leur père, et surtout d'une femme, Joëlle Brunerie-Kauffmann. Cette gynécologue et militante féministe fut la fondatrice d'un comité de soutien à son mari qui permit de ne jamais laisser périr les otages au fond de l'oubli de leurs geôles. Résolue, déterminée, elle fut la mauvaise conscience des politiques qui en France, de François Mitterrand à Jacques Chirac, se disputaient alors le pouvoir.
C'est tout cela, L'enlèvement. Dans cet ample et juste récit, Grégoire Kauffmann, historien et enseignant à Sciences Po, narre moins la détention de son père que le combat de sa mère et la façon dont la mémoire, désormais, fait de cet épisode à tout le moins douloureux comme un re- père d'époque, entre SOS Racisme et Malik Oussekine... Tenant à distance les chiens douteux de l'émotion (pas le genre de la maison, croit-on comprendre), l'auteur offre une proposition pourtant bien littéraire et polyphonique où l'intimité d'une famille rejoint l'exhibition des temps. Joli travail.
L'enlèvement
Flammarion
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 360 p.
ISBN: 9782080206145