Avant-critique Récit

Grégory Le Floch, "Éloge de la plage" (Rivages)

Grégory Le Floch - Photo © Christophe Idéal

Grégory Le Floch, "Éloge de la plage" (Rivages)

À travers un texte érudit et sensible, Grégory Le Floch célèbre ce banc de sable qui fait le bonheur des estivants et a inspiré tant d'écrivains avant lui.

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Par Sean Rose
Créé le 03.05.2023 à 09h00

Beau rivage. « La mer fascinera toujours ceux chez qui le dégoût de la vie et l'attrait du mystère ont devancé les premiers chagrins, comme un pressentiment de l'insuffisance de la réalité à les satisfaire. » Proust sait les vagues consolatrices. Il faut bien une telle étendue d'eau pour noyer notre mélancolie. Et au loin l'horizon, promesse d'infini, pour combler l'ennui du réel. Aux yeux de Grégory Le Floch, ce banc de sable bordant la mer est le lieu idoine. À la plage, en sus d'un maillot de bain et d'une serviette, il se munit d'« un cahier 21x29,7 et un stylo Bic ».

Le lauréat du prix Wepler-Fondation La Poste et du prix Décembre 2020 pour De parcourir le monde et d'y rôder (Christian Bourgois ; reparu en « Points » Seuil, 2022) signe ici un Éloge de la plage. Ayant pour genèse des vacances en bord de mer en Italie, cette prose rêveuse est une invitation au voyage mais en ne quittant jamais le rivage et les gens qui le peuplent – baigneurs à la peau dénudée, personnages de romans ou de films nourrissant l'imaginaire de la plage.

La plage, c'est celle des jeunes filles en fleurs du narrateur d'À la recherche du temps perdu. « Jeunes garçons... », rectifie Gide, que le masque proustien ne trompe pas ; c'est le sable chaud de Jamaïque que foule la première James Bond girl, la pulpeuse Ursula Andress sourdant des eaux, telle une Vénus anadyomène. Parmi la rumeur des vagues, malgré le brouhaha des estivants, leur pépiante marmaille, l'auteur écrit. La plage est une page blanche que noircissent ses pensées sur l'écriture et la vie. Il existe bien une « philosophie de la plage » pour reprendre le titre d'un article de l'angliciste Agnès Derail-Imbert que cite Le Floch : la « vacance de la pensée » qui la sous-tend équivaut à l'otium, cette « oisiveté » patricienne où l'on s'adonne à la contemplation, laquelle oisiveté s'oppose au negotium, le vertige marchand des hommes où l'on s'affaire toujours davantage... Et il y a aussi une histoire de la plage, une sociologie de la plage, une anthropologie de la plage, etc. Ces abords sablonneux sont un miroir de nos sociétés, il nous tend le reflet de l'évolution des mentalités. La duchesse de Berry, bru de Charles X et chouanne invétérée, se baigne pour le pur plaisir de l'eau (et non pas comme cure censée soigner l'hystérie). La plage, c'est surtout une certaine idée du corps. La nudité ou quasi-nudité qui expose le beach body, ce physique sculptural stéréotypé des séries américaines. Notre présence incarnée ne peut s'empêcher d'être politique, car nous sommes des animaux politiques. Grégory Le Floch clôt son Éloge avec la conscience du commerce de sable, aberration écologique, qui alimente les plages de Dubaï, mais aussi avec l'espoir qu'on puisse un jour à nouveau aller se baigner en Ukraine. Être au bord de l'eau, le regard dégagé vers le ciel, et avoir les pieds fermement sur terre, c'est ça la plage.

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