5 mai > roman Italie

Il y a du magicien, du presti digitateur chez Alessandro Baricco. Une capacité peu commune à se ressourcer d’un livre à l’autre, à prendre à chaque fois ses lecteurs à contre-pied. Après avoir signé Emmaüs (Gallimard 2012, repris en Folio), l’Italien revient en librairie avec un opus fascinant et très différent dans sa forme, Mr Gwyn.

Alessandro Baricco- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Nous sommes à Londres. Face à un écrivain de 43 ans "plutôt à la mode en Angleterre et discrètement connu à l’étranger". Jasper Gwyn est célibataire. Il a la hantise des bavardages, ne croit pas au mariage et prétend n’être pas fait pour la paternité. Le prosateur est en activité depuis douze ans. Il a gagné ses premiers galons avec un "thriller situé dans la campagne galloise en plein thatchérisme : une affaire de mystérieuses disparitions", puis avec un court roman sur l’histoire de deux sœurs qui décident de ne plus se voir et enfin avec un gros roman de cinq cents pages mettant en scène un ancien champion olympique d’escrime.

Là, ce collaborateur occasionnel du Guardian, à qui il arrive de parler devant des classes en prenant un air sûr de lui, vient de comprendre qu’il ne veut plus écrire et publier de livres. Ancien accordeur de piano comme son père, Mr Gwyn l’a dit noir sur blanc dans un article. Ainsi qu’à son agent, Tom Bruce Shepperd, qui se déplace en chaise roulante et garde pour lui les secrets que son auteur tait. Avant de prendre le large, de partir pour l’Espagne, à Grenade, dans un petit hôtel où il a consommé du whisky et du lait froid et fréquenté une chercheuse slovène. De retour à Londres, notre homme se met à écrire dans sa tête. Il lui arrive également de discuter avec une vieille dame équipée d’un parapluie et d’un foulard imperméable. Lors de leur première rencontre dans un dispensaire, elle est vivante. Lors des suivantes, elle est morte… Le lecteur ne doit s’étonner de rien. Se laisser mener par un Baricco magistral. L’auteur de Soie (Albin Michel 1997, repris en Folio) nous entraîne avec brio sur les traces d’un héros qui cherche des réponses, essaye de vivre lentement, en se concentrant sur chaque geste. Un héros qui pense que nous ne sommes pas des personnages, mais des histoires. Dans une galerie, Mr Gwyn observe des tableaux qui lui paraissent "muets". Et se dit qu’il veut "écrire un portrait", en jouant la simplicité, la pureté. Pour cela, il loue un atelier derrière Marylebone High Street, veille à l’éclairage et à la musique, engage une assistante chargée de régler tous les détails, passe une petite annonce pour trouver des modèles…

Tapis dans l’ombre, Alessandro Baricco tient la note d’un bout à l’autre, jusqu’à une brillante pirouette finale qu’on ne dévoilera pas. On ne peut qu’applaudir sa réflexion singulière sur la vérité et la nature humaine. Sur ce qu’on cherche et ce que l’on doit accepter. Du grand Baricco !

Alexandre Fillon

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