« Je me souviens encore de lui comme de l’Art en personne ; en pensant à sa petite barbe rouge paprika, à sa tête couverte de taches de rousseur, à ses cheveux rouge vermillon, à son geste rapide et agité, à son amitié m’exhortant à agir, à sa générosité absolue, je sens la même passion adolescente qu’autrefois, quand sa coiffure m’incitait à l’imiter et sa perpétuelle excitation mentale m’encourageait à travailler. » Ainsi le poète Ferenc Juhász brosse-t-il le portrait de son ami Simon Hantaï lorsqu’il était encore aux Beaux-Arts de Budapest. Arrivé à Paris avec sa femme, Zsuzsa, en 1948, grâce à une bourse annuelle du ministère de la Culture hongrois, Hantaï ne perd rien de sa ferveur. Tout le fascine, mais rien n’est simple dans cette « Babel énorme ». Petits boulots comme dessinateur textile, un pécule qui fond comme neige au soleil, il a du mal à joindre les deux bouts. Fort heureusement, une vieille connaissance, le directeur de l’Institut français de Budapest, chassé par le nouveau pouvoir communiste, lui trouve une nouvelle bourse… Hantaï demeurera en France jusqu’à sa mort, en 2008, et deviendra l’un des maîtres de la « toile libre », cet au-delà du cadre et du chevalet. Près de quarante ans après son unique rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, en 1976, l’hommage à Hantaï se renouvelle au Centre Pompidou du 22 mai au 9 septembre. A l’occasion, un catalogue d’exposition, comme il se doit, mais un catalogue aussi passionné que raisonné, puisque les essais sont d’auteurs qui l’ont connu intimement, notamment le poète et critique d’art Dominique Fourcade, l’un des commissaires de l’exposition et qui signe le texte inaugural, «Hantaï, une exposition ». Compositions avec ossements et rêveries organiques de la première période surréaliste (1950-1955), période gestuelle, période scripturale, Etudes et Tabulas des années 1970-1980, la série des Laissées des années 1990, sans oublier les fameux Mariales et Meuns, son idiosyncratique et géniale technique de pliage appliquée à la surface et à la couleur… La contemplation s’abîme dans le silence, mais l’image ne tarit pas le verbe. Les œuvres d’un grand peintre se suffisent sans doute à elles-mêmes, si ce n’est que, s’il est grand, on peut justement en parler, eh bien ! comme Georges Didi-Huberman ou Eric de Chassey.
Simon Hantaï, ce « Souabe errant », né à Bia dans un milieu de paysans et d’artisans de la communauté germanique et catholique de la Hongrie, n’a cessé sa vie durant d’entrer en dialogue avec les autres arts : la littérature, la musique, et d’échanger avec les écrivains et les philosophes : Jacques Derrida, Hélène Cixous, Jean-Luc Nancy. Avec ce dernier s’établit une correspondance entre 2000 et 2008 qui paraît concomitamment chez Galilée (1). Outre des anecdotes savoureuses (Hantaï dépose une peinture devant la porte de Breton qu’il retrouve plus tard exposée en vitrine près d’un Duchamp !), on découvre une réflexion sur le surgissement de l’œuvre : mouvement « non pas créateur, donc, mais au contraire geste et pensée guidés par une “fidélité à ce qui n’existe peut-être même pas? - et qui pourrait aussi porter le nom de Dieu, ou de l’Esprit ». Sean J. Rose
(1) Réédition de La connaissance des textes, travail de J. Derrida, S. Hantaï, J.-L. Nancy, Galilée ; 31 euros ; 160 p. ; ISBN 978-2-7186-0547-2.
