On a toujours plaisir à retrouver à Istanbul, au XIXe siècle, le héros de la série de Jason Goodwin, l'eunuque Hachim, lequel jouit d'un statut et de fonctions assez particuliers : quoique attaché au harem du sultan, il dispose d'une maison privée, en dehors du palais de Topkapi, peut se déplacer comme il le souhaite. Et se voit sans cesse confronté à de sombres et sanglantes intrigues politiques, à des mystères qu'il parvient toujours à élucider. Mais cette fois, au risque de paraître anachronique, puisque le maître de musique du palais et arbitre des élégances était à l'époque le maestro Donizetti, on peut dire qu'Hachim éprouve comme un coup de blues. Certes, il se confectionne toujours des petits plats, continue à passer des soirées de connivence affectueuse avec son ami l'ambassadeur Palewski, mais le coeur n'y est plus.
On est en 1839. Son maître, le sultan Mahmud II, vient de disparaître, remplacé par Abdülmecid Ier, qui a décidé de quitter Topkapi et de transporter sa cour dans son palais de Besiktas, immense, humide et impersonnel, et de changer de harem ! D'où désespoir, intrigues et meurtres. D'autre part, la Sublime Porte, incapable de mater la sécession de l'Egypte conduite par Méhémet-Ali, doit faire appel à l'alliance de la Russie, terriblement risquée. Enfin et surtout, Fevzi Ahmet Pacha, ancien mentor d'Hachim et amiral de la flotte ottomane, trahit son pays en conduisant ses navires jusque dans le port d'Alexandrie. En ce qui concerne le harem, Hachim peut s'appuyer sur la Validé, la reine mère, qui se trouve être la soeur de Joséphine Tascher de La Pagerie, devenue Beauharnais, puis Bonaparte. Quant à la trahison de l'amiral, il va devoir affronter lui-même cet homme qui lui rappelle son passé, sa jeunesse.
Comme à l'habitude, la documentation est impeccable et Goodwin mêle savamment personnages et faits authentiques. Mais ce quatrième épisode est moins échevelé que les précédents, haché en courts chapitres comme autant de fragments. Gageons que notre eunuque retrouvera vite le moral. Sa sagacité, elle, est toujours remarquable.