Hitler en fureur. Il est de bien sinistres anniversaires. Ainsi, 2025 marquera le centenaire de la publication en Allemagne de Mein Kampf, le livre qu'Adolf Hitler, leader du NSDAP, le parti nazi, avait écrit dans la prison de Landsberg où il avait été incarcéré de novembre 1923 à décembre 1924 pour sa tentative de coup d'État en Bavière contre la république de Weimar agonisante. Paru chez Eher-Verlag, ce gros pavé de 800 pages était un galimatias informe, dont les axes de force étaient la détestation de la démocratie parlementaire, la rage vengeresse à l'endroit de la France, « l'ennemi héréditaire », victorieuse en 1918 et qui avait imposé à l'Allemagne un traité de Versailles jugé « humiliant », et la haine viscérale des Juifs, présentés comme la « pollution » d'une Allemagne aryenne pure et idéale. Celle qu'Hitler rêvait de construire.
Ainsi que son titre (« Mon combat ») l'indiquait clairement, ce n'était pas une œuvre littéraire mais un outil de propagande, de lutte, et la « bible de l'Allemagne nazie ». Mais aussi le programme que le Führer appliquerait s'il parvenait au pouvoir. Chose faite en 1933. L'œuvre du nouveau chancelier du Reich se vend à un million d'exemplaires, est même offerte à tous les jeunes mariés.
Dans un premier temps, Hitler avait interdit formellement que son livre soit traduit en français. En toute hypocrisie, alors qu'il préparait la guerre, il voulait donner l'illusion du pacifisme, de son désir de réconciliation et d'amitié avec la France. À Paris, c'est ce que prêchaient ses sbires, dont Otto Abetz, ambassadeur officieux et ami d'une bonne partie de l'intelligentsia politique, médiatique et littéraire française. Certains dirigeants, comme Chautemps ou Daladier, futurs munichois, se sont laissé prendre au piège. D'autres, heureusement, dans la société civile, ne furent pas dupes.
Comme l'avocat Philippe Lamour (1903-1992), qui fut l'artisan de la publication de Mein Kampf en français, afin que nul ne puisse dire qu'il ne savait pas, qu'il ignorait la catastrophe annoncée. L'indigeste pavé, traduit par le jeune polytechnicien André Calmettes, est paru en mars 1934 chez Fernand Sorlot, un maurrassien, aux Nouvelles Éditions Latines. Le projet avait été financé et réalisé par une union sacrée de la droite nationaliste, notamment des officiers supérieurs qui détestaient les « Boches », et des organisations juives dont la LICA (future LICRA) de Bernard Lecache. Sitôt le livre paru, Hitler fulmine, les Allemands sont furieux, le gouvernement français, lâche, propose un désaveu public, essaie de faire pression sur Lamour et sur le juge du tribunal de commerce de Paris, Maurice Piketty, un honnête homme devant qui est examinée la plainte déposée par Hitler et son éditeur berlinois pour publication illégale, atteinte au droit d'auteur. Philippe Lamour déploiera tout son formidable talent, Sorlot et son imprimeur seront condamnés au minimum, et ceux qui voulaient lire Mein Kampf en français le pourront. Bien peu, hélas. La plupart préféraient l'aveuglement d'un Bertrand de Jouvenel, qui publia en février 1936 dans Paris-Midi une interview aimable du Führer. Le 7 mars, le Reich occupait la Rhénanie. On connaît la suite.
Le livre d'Harold Cobert, où tout est vrai, fac-similés à l'appui, se lit comme un véritable thriller. On aurait préféré que ce ne soit qu'un roman. Mais, à un moment où les extrêmes droites sont à la manœuvre pour déstabiliser presque toutes les démocraties, sa lecture est aussi passionnante que salutaire.
Le procès Mein Kampf
Éditions les Escales
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21 € ; 336 p.
ISBN: 9782365699013