Ce lundi 6 mai, à l'université de Kyoto, Haruki Murakami, a tenu, pour la première fois en 18 ans, son premier discours public au Japon. Plus de 500 personnes, tirées au sort par un système de loterie, assistaient à l'événement. Et plus de 1 500 questions avaient été soumises avant qu'ils ne choisissent celles auxquelles il allait répondre. Il a ainsi évoqué ses passions pour le jogging, la bière, la traduction et le baseball professionnel (véritable sport national).
Les journalistes étaient tolérés, mais n'ont pas été autorisés à enregistrer ses propos ni à prendre des photos. Selon les médias nippons, les dernières apparitions publiques de Murakami au Japon remontent à des séances de lecture à la suite du tremblement de terre de 1995 qui avait rasé une grande partie de la ville de Kobe (voisine de Kyoto) et tué plus de 6 400 personnes.
1 million d'exemplaires pour son nouveau roman
Cette conférence, intitulée « Regarder l'âme, écrire l'âme », prolongeait l'important dispositif marketing mis en place pour la sortie récente de son dernier livre, Le sans couleur Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, dont le tirage a atteint 1 million d'exemplaires dès sa première semaine en librairie. L'histoire est celle d'un jeune homme qui entre en dépression durant plusieurs mois quand quatre de ses amis rompent toute relation avec lui : « Cette histoire est celle d'un homme qui grandit et pour que cet accomplissement soit grand il fallait que les cicatrices soient aussi grandes. »
« J'ai aussi eu une expérience similaire » confesse l'écrivain. « Quand vous êtes vraiment mal, vous voulez cacher le traumatisme aux yeux des autres et tenter d'aller au-delà, mais ce n'est pas une chose si facile. » Il ajoute cependant que « La tristesse est quelque chose de très personnel, qui prolonge l'introversion. Mais le rire, lui, est quelque chose de plus général, qui se propage entre les personnes. »
Le passage
Ce roman ne devait être, à l'origine, qu'une simple nouvelle. Mais, comme il l'expliquait dans ses entretiens avec la presse japonaise lors de la sortie du livre, il s'est laissé conduire par les personnages secondaires. « Alors que j'écrivais, je voulais écrire plus précisément sur les quatre amis du protagoniste principal. » Il avoue que c'était la première fois qu'il souhaitait décrire en détail chacun des personnages.
Pour ce roman, il voulait aussi transférer des choses que l'on définit comme irréelles dans un monde de réalité. « Ecrire un roman, c'est comme aller au fond d'un deuxième sous-sol très sombre dont vous ne connaissez pas l'issue », a confié l'auteur d'1Q84. « Pour créer quelque chose, les romanciers ou les musiciens ont besoin de descendre l'escalier et de trouver un passage menant au deuxième sous-sol » a-t-il expliqué.
Un timide qui s'engage
A 64 ans, en tenue décontractée, pantalon rose saumon, baskets bleues et veste vert clair, Haruki Murakami a justifié la rareté de ses apparitions par la volonté ferme de pouvoir vouloir se balader en paix, ne pas être aisément repéré ni dérangé dans la rue. « S'il vous plaît, considérez-moi comme une espèce en voie de disparition et contentez-vous de m'observer tranquillement de loin (...) Si éventuellement vous essayez de me parler ou de me toucher, je peux être intimidé et vous mordre. Alors s'il vous plait soyez prudent », a-t-il insisté.
Cela ne l'empêche pas d'intervenir dans de nombreuses tribunes, souvent engagées politiquement. Ces derniers mois, il a essayé de calmer les passions entre le Japon et la Chine à propos de la tension militaire autour des îles de Senkaku. Il a également signé un texte en hommage aux marathoniens morts ou blessés lors de l'attentat de Boston. Murakami a lui-même couru 33 marathons et vécu à Boston.