Après avoir créé Les Liens qui Libèrent en 2009 en association avec Actes Sud, qui possédait 30 % de l'entreprise, Henri Trubert et Sophie Marinopoulos ont racheté ces parts en janvier 2022, affirmant leur indépendance pleine et entière. Par cette décision foncièrement politique, la maison de sciences humaines entend se protéger des mouvements de fusion à l'œuvre dans l'édition, mais aussi participer à la création d'espaces de liberté pour les idées et les auteurs.

Les Liens qui Libèrent est devenue une maison 100 % indépendante début 2022. Qu'est-ce qui a motivé cette séparation d'avec Actes Sud ?

Ce choix était à la fois conjoncturel, psychologique et politique. Ce qui l'a motivé en premier lieu, c'est l'envie d'une indépendance complète. Nous avions contracté avec Actes Sud lorsque Françoise Nyssen était encore présidente, et nous étions alors tout à fait indépendants, éditorialement parlant. Ils ne sont jamais intervenus ni sur les programmes ni sur les comptes, c'était une relation de confiance. Quand il a été décidé de transmettre la société à la génération suivante, avec laquelle nous sommes en bons termes mais que nous connaissons moins, nous nous sommes dit que c'était le moment. Par ailleurs, on ne sait jamais ce que sera une maison dans dix ans. Imaginez qu'un jour Actes Sud soit racheté par un grand groupe... Nous n'avions pas du tout envie de cela.

Comment finance-t-on une opération comme celle-ci ?

Notre maison a toujours bien fonctionné et bénéficié d'un peu de trésorerie en avance. Ce rachat ne nous a donc pas fragilisés, nous savions que nous pouvions l'assumer.

Concrètement, en quoi cette décision a-t-elle modifié votre activité ?

Ça ne change pas grand-chose, c'est assez symbolique. D'ailleurs, Actes Sud reste le diffuseur et s'occupe de notre fabrication moyennant finances, ce qui est aussi une façon de garder un lien. Mais compte tenu de ce qui se passe dans le monde de l'édition, la liberté symbolique est fondamentale. Un éditeur 100 % indépendant, c'est autre chose qu'un éditeur indépendant à 70 % ! C'est presque un acte de résistance, pour affirmer qu'on ne sera jamais assujettis à aucun capital, quel qu'il soit. Je pense que les auteurs de notre maison, qui est éminemment politique, sont heureux de cette situation.

Quel bilan tirez-vous de cette première année de totale indépendance ?

Nous en sommes très contents. Dans ce mouvement d'accaparement des petits et des moyens par de gros groupes dont les détenteurs du capital sont en général voraces, pour ne pas dire cupides, les éditeurs totalement indépendants ont un rôle à jouer. Il nous appartient de créer un espace d'acteurs qui soient beaucoup plus libres que d'autres, parfois pris dans les rets de la censure, mais surtout de l'imaginaire économique de rentabilité, qui infléchit énormément les programmes des maisons d'édition. En vingt ans, on note un effondrement de la qualité et une exubérance du coût marketing... De très belles maisons de sciences humaines n'en font quasiment plus, précisément parce que ce n'est pas assez rentable. Mais il y a aussi une pépinière de petites maisons indépendantes de sciences humaines, comme Anamosa, Wildproject, Divergences, qui font un travail exceptionnel que d'autres ne font plus.

Quels sont aujourd'hui vos principaux défis en tant qu'éditeur indépendant ?

Essayer d'être un « métier de pointe », comme disait René Char ! Nous, on a 65 ans ; si dans trois ans nos bouquins ne marchent plus, on ne va pas s'amuser à faire de la soupe, ça nous ennuie. Le défi est donc avant tout culturel, et non pas commercial : il s'agit d'anticiper et d'émanciper les idées comme les auteurs.

21.04 2023

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