Les héros, ça se fabrique. Avec du sang, des larmes et bien sûr des histoires. Guerrier, sage ou saint - Louis IX cumula les trois fonctions -, le héros apparaît comme une sorte de marqueur dans l'imaginaire historique, un repère des sensibilités d'une époque. Dans Les héros de l'histoire de France expliqués à mon fils, Alain Corbin examine les grandes figures du récit national pour montrer en quoi elles sont révélatrices de la société qui les promeut.
Fidèle à l'esprit très accessible de la collection, l'auteur du Miasme et la jonquille et tout récemment des Conférences de Morterolles (voir LH 857) fait le tour de la propriété France en s'arrêtant devant les statues de ceux qui ont été portés au pinacle puis quelquefois déboulonnés, comme Pétain, passé en vingt ans de la gloire de Verdun à l'exécration de Vichy.
La première partie, conçue comme un essai, se charge de balayer le terrain historiographique en expliquant le mécanisme d'élaboration, de promotion puis d'oubli d'un héros. La seconde étudie une trentaine de cas, de Vercingétorix à Jean Moulin, à partir d'un sondage effectué en 1949 sur les personnages historiques préférés des Français. Et l'on constate que le pire ennemi du héros, ce sont justement les historiens ! En cherchant à en savoir davantage sur tel ou tel individu proposé à l'admiration, ils lui ont souvent fait perdre de sa grandeur.
Ainsi, si l'éclat de Napoléon n'a que peu faibli - même si son image a changé -, d'autres célébrités ont quitté leur piédestal, comme Duguesclin, Bayard, Lyautey ou Foch. Charlemagne, censé avoir "inventé l'école", apparaît comme "sans doute assez peu cultivé".
Et puis il y a les retournements d'opinion. Les cendres de Marat déposées au Panthéon ont été jetées à l'égout, et Marie-Antoinette est assimilée aux macarons depuis le film de Sofia Coppola. Au fil des Républiques, Lamartine s'est effacé au profit d'Hugo. Enfin, on a même vu une figure de gauche comme Jaurès enrôlée par Nicolas Sarkozy dans la campagne présidentielle en 2007. Il y aurait donc bien aussi une "pipolisation" des héros.
Corbin parle joliment de "la complexité des figures héroïques". Il en montre en tout cas les vacillements. Un point commun réunit tous ces personnages exclusivement masculins, si l'on excepte Jeanne d'Arc : la guerre. Seul Pasteur, savant et bienfaiteur, fait exception. Hors la guerre, des héros sont-ils possibles aujourd'hui ? Sans doute. Il semble néanmoins que le modèle qualifié par Corbin de "plutarquéen" ait vécu. Et ce petit livre très malin et plein d'esprit montre en filigrane comment se construit une identité nationale, changeante, tâtonnante, répondant aux espoirs du temps et à la stratégie du pouvoir politique.