Dominique Ané, artiste sous le nom de Dominique A, l’un des plus emblématiques de la "nouvelle scène française" née dans les années 1990, était déjà l’auteur d’un premier récit sensible et original, Y revenir (Stock, 2012, repris chez Points en 2013), qui avait remporté un beau succès. On avait noté nombre de convergences entre ses deux moyens d’expression, une même qualité d’écriture et une même volonté de se dire au plus près de l’intime. Au moment où A sort un nouvel album, Eléor, voici Ané de retour avec Regarder l’océan. Un petit livre superbe, aussi bref que dense, dont les vingt textes, semblables et différents à la fois, peuvent se déguster comme autant de poèmes en prose. Le dernier, par exemple, "Je viens te chercher", énigmatique, douloureux, qui clôt le recueil sur une note mélancolique, sa tonalité générale.
Tout commence au bord d’une rivière, dans cette campagne où le narrateur, originaire d’une "presque ville" de la région parisienne, passait ses vacances avec sa famille. Et tout finit au bord de l’océan, là où il vit aujourd’hui, et où il rêve de mourir un jour "idéalement", "sur un banc […] ou derrière la vitre d’un bar en bord de mer. Seul." Une thématique aquatique qui irrigue tout le livre, jusqu’à ce château d’eau dont la destruction, un jour, cause à cet être hypersensible à la fuite du temps, amateur d’antiquités, une sorte de choc. Lui, à qui "la vie fait peur", n’aime pas que les choses changent.
Et pourtant, il a choisi une vie mouvante, incertaine, depuis ses tout débuts dans la musique quand il habitait un appart pourri dans un squat de dealers, avec ces petits concerts dans des salles minables pour quelques fans, et quelques groupies qui essaieront de se glisser dans le lit du chanteur : en vain, il est déjà reparti en bus ! Dominique Ané, non sans humour, n’hésite pas à démythifier la vie des rock stars. Ni à se moquer de Dominique A : ainsi cette leçon de chant chez un professeur, célèbre mais vraie mégère, qui lui dit qu’il chante "mou", avant de lui faire prendre conscience que son métier est avant tout physique. Il retiendra la leçon, dans des spectacles où il se mettait parfois nu - derrière un paravent -, pour avoir un contact concret avec le monde et les autres. Maintenant, pour cela, il a aussi l’écriture.
Jean-Claude Perrier