Rachid O. est un cas intéressant dans notre paysage littéraire. En 1995, ce jeune Marocain de Rabat (où il est né en 1970) publiait L'enfant ébloui, un premier roman autobiographique (sa vie au Maroc, la découverte de son homosexualité, son installation en France). Très soutenu par ses amis, Mathieu Lindon ou Gaël Morel, ainsi que par le milieu gay, le livre, salué pour sa fraîcheur et sa candeur, avait été remarqué. L'auteur a publié trois autres livres par la suite, jusqu'en 2003, un peu dans la même veine, mais inégaux. Une certaine lassitude s'est installée chez les lecteurs, estimant à juste titre que Rachid O. ne tirait pas assez parti de ses dons, succombant à une certaine complaisance. Et puis il y eut ce long silence de dix ans, dont il sort aujourd'hui avec Analphabètes. Qu'on se rassure ou pas, selon qu'on aime ou non ce qu'il fait, Rachid O. n'a pas changé. Il a les mêmes qualités, et les mêmes défauts.
Analphabètes se veut le livre de tous les retours : à l'écriture, au Maroc, à son père, Bachir, dont il fermera les yeux le 2 mars 2010, à ses souvenirs d'enfant et d'adolescent couvé par un homme tolérant et ouvert, qui le protégeait contre sa propre famille (un frère aîné homophobe) et contre l'opprobre général qui, au Maroc et dans de nombreux pays, notamment musulmans, frappe les homosexuels. C'est aussi le livre de toutes les souffrances : le deuil du père, la peine à la mort de son ami Gérard, le vieil homo assassiné par Slimane, son ami marocain, ou encore, la pire peut-être pour un écrivain, la difficulté même d'écrire. Rachid O. ne cesse de confier son angoisse face à la page blanche, contre quoi Mathieu l'encourage : "Ne te laisse pas abattre, tu as tes lecteurs à toi. »
L'existence même d'Analphabètes témoigne de la réussite de l'entreprise, bien que ce soit un livre imparfait mais avec de fort belles pages : celles, émouvantes, montrant Bachir, analphabète et fils d'analphabète, tout fier d'avoir un fils lettré et écrivain, celles célébrant la langue française, et sa vie entre Paris et le Maroc, son attirance pour les gaouris, les Occidentaux... On espère qu'Analphabètes est un livre de transition pour Rachid O., étape nécessaire avant qu'il n'aborde la seconde phase de son oeuvre, qui devrait être celle de la maturité.