7 NOVEMBRE - ESSAI Allemagne

Walter Benjamin- Photo DR/L'HERNE

Des promenades au clair de lune, des collines ou des montagnes que l'on gravit souvent seul, des paysages mystérieux comme des tableaux, des rêves dont on se souvient, des situations cocasses avec des dénouements étranges, tel cet homme qui sauve quelqu'un qui a peut-être tué. Il y a de tout cela dans ces textes de Walter Benjamin (1892-1940). Ecrits entre 1932 et 1933, ces récits sont inédits en français, excepté "Je déballe ma bibliothèque" qui a déjà fait l'objet de plusieurs traductions depuis celle de Marc de Launay en 1978. Ce dernier, qui a aussi présenté et annoté cette édition, reprend la formule "prose d'idée" pour qualifier l'ensemble. Cela convient bien à la façon dont le philosophe allemand envisageait son travail. Lui-même parlait d'"images de pensée".

Benjamin écrit autant pour montrer que pour démontrer. On en aura une illustration dans sa courte évocation - une page - d'un 14 juillet à Paris intitulée "Bel effroi". "Il n'est pas vrai que tous les livres se lisent de la même manière", indique-t-il. Les siens n'entrent dans aucune catégorie, tout comme les 47 textes de ce recueil. Certains font penser à Borges par leur manière d'instiller de l'érudition. D'autres à des fragments de Kafka par l'économie des moyens déployés pour poser une atmosphère. Ce qui les réunit, c'est leur brièveté, le sens de la concision et parfois de la chute.

"Le bon écrivain ne dit pas plus qu'il ne pense." Voilà pourquoi Benjamin se satisfait de la forme courte, du conte bref ou de l'aphorisme développé. "Qui cherche à se rapprocher de son propre passé enseveli doit se comporter comme quelqu'un qui creuse." Ce n'est donc pas avec une pelle, mais avec des mots qu'il va sonder sa propre histoire qui est aussi celle de l'Europe de l'après-Grande Guerre. Cet essayiste, au sens le plus noble du terme, n'a cessé de chercher à comprendre les mutations d'un monde qui s'éloignait, d'un monde qui n'était déjà plus le sien et qui devenait le nôtre. Il fit cela avec ténacité et curiosité jusqu'à son suicide, comme d'autres intellectuels juifs effrayés par la terreur nazie.

"Toute passion confine au chaos, mais la marotte de la collection touche, elle, au chaos des souvenirs." Or Benjamin fut aussi un grand collectionneur, un bibliophile qui ordonnait son désordre intérieur. On le voit bien dans N'oublie pas le meilleur. Ces petites proses ciselées sont un peu plus que le divertissement d'un grand esprit du XXe siècle. Elles constituent une sorte d'entrée en matière dans une oeuvre plus vaste, un peu comme si Benjamin vous ouvrait la porte de son appartement à Berlin, à Paris, à Moscou ou à Capri, et vous lançait : "Voilà, c'est là où je vis."

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