La famille est son terrain : Anne-Constance Vigier aime camper dans ce champ de bataille partagé, observer l'oppression domestique. Elle excelle dans la description des frustrations, des contrariétés, des peurs rentrées qui marinent à l'intérieur. Héritage est une histoire fatale et sombre, éclairée pourtant par une lumière douce d'arrière-saison grâce à son prologue et à son épilogue, situé en 2047. Entre ces deux bornes du récit, un accident aux conséquences dramatiques, un séjour en prison, des images douloureuses d'enfance, une histoire d'amour, aussi.
Cadre quadragénaire, Gabriel est un homme mal dans sa vie, miné en silence par l'ennui au travail, la jalousie, une honte polymorphe et diffuse. Il vit depuis quinze ans avec Vincent, qui paraît plus insouciant et lui reproche de ressasser d'anciennes humiliations, le "souvenir torturant » de sa mère brutale. Comme dans Ce frère-là (2010) et La réconciliation (2008), où une fille devait cohabiter quelques jours avec son père, tyran déchu, c'est l'abus de pouvoir, l'intolérance ordinaire qui marquent les relations entre mère et fils. Ici, Gabriel revoit la violence qu'il a subie, enfant, dans le miroir inversé du conflit terrible qui oppose une secrétaire de l'entreprise à son fils, adolescent plein de révolte haineuse, par qui surviendra le drame. Au cours d'une dispute, Gabriel le tue accidentellement, dissimule son corps, avant de se dénoncer deux jours plus tard alors qu'il est parti passer Noël chez les parents de Vincent en compagnie des cinq soeurs de ce dernier et leurs enfants. Cette réunion familiale donne d'ailleurs lieu à des scènes particulièrement réussies dans lesquelles la romancière regarde avec lucidité et sympathie ses personnages mus par leur psychologie propre et pris dans le fonctionnement du groupe. Comme lorsqu'elle décrit si justement ce qui se joue à la fois d'intime et de social dans un ascenseur d'entreprise où se mêlent l'odeur de la sueur et le parfum des déodorants.