Un choeur de femme pleure sa disparition, par Nancy Huston, prix Femina 2006 pour "Lignes de faille", éditée par Actes Sud depuis 1992
"D'une énergie peu commune, jamais il ne donnait à ses interlocuteurs l'impression qu'il était pressé. Il avait plaisir à faire fructifier le travail des autres. Un de ses proverbes préférés était : "Dans un sac plein de pommes, il y a encore de la place pour de nombreux grains de riz." Il savait aussi apprécier les femmes, leur corps certainement, mais aussi leur esprit. Quand on regarde la liste de ses auteurs, plus de la moitié sont des femmes, ce qui est malheureusement encore rare aujourd'hui. Il les respectait, aimait les entendre. Il les fêtait. Ça a donné des ailes à beaucoup d'entre elles. Il y a un choeur de femmes qui pleure sa disparition. Chez lui, exigence et épicurisme allaient de pair. Et il a su former une équipe qui partageait cet esprit, ce qui lui a permis de préparer soigneusement son départ. Je suis allée le voir il y a tout juste un mois. La première phrase qu'il m'a dite a été : "Quelle bonne idée tu as eue de venir me dire au revoir." Il a magnifiquement réussi sa sortie. »
Il n'y avait pas d'effraction dans le texte, par Pia Petersen, qui a publié 5 romans dans la collection "Un endroit où aller"
"Il était extraordinaire et veillait vraiment sur moi. Il était d'un grand respect pour le texte et pour son auteure. Quand il recevait un manuscrit, il le lisait très rapidement, me sachant dans l'attente. Il faisait des remarques discrètes dans la marge, au crayon. Il n'entrait pas par effraction dans le texte. Il savait me débarrasser des petites questions parasites et me remettait toujours aux manettes de mon roman. »
Sa correspondance était la marque de sa présence et de sa fidélité, par Alice Ferney, auteure publiée par Actes Sud depuis 1993
"C'était un grand épistolier, au point qu'à 75 ans, il est passé aux messages électroniques, qu'il agrémentait de touches personnelles, une belle typographie ou une rose près de sa signature. Il n'a jamais laissé une de mes lettres sans réponse. Sa correspondance était la marque de sa présence et de sa grande fidélité. Mais aussi la preuve de son étonnante facilité à écrire en plus de lire remarquablement et d'accompagner réellement les livres qu'il éditait."
Hubert Nyssen aimait les libraires, par Michel Bazin, fondateur de la librairie Lucioles à Vienne
« Dans les années 80, quand nous avons vu arriver les premiers livres des éditions Actes Sud, on les a tout de suite repérés ! Ils étaient beaux, d'un format inconnu à l'époque, imprimés sur un beau papier qu'on avait plaisir à caresser, avec des couvertures entièrement illustrées qu'on avait plaisir à exposer sur nos tables et en vitrine. Mais surtout, Hubert Nyssen et Actes Sud nous ouvraient des horizons nouveaux : Nina Berberova, une écrivaine russe "tenue dans l'ombre pendant près d'un demi-siècle", comme l'écrit Hubert Nyssen dans ses carnets, et ressuscitée grâce à lui. Et puis, les écrivains scandinaves contemporains, eux aussi complètement ignorés de l'édition française. Je me souviens encore du choc ressenti à la lecture de L'Oratorio de Noël de Göran Tunström en 1986 et de Cité de verre de Paul Auster l'année suivante.
Hubert Nyssen aimait les libraires et il a été l'un des premiers à leur accorder de bonnes conditions commerciales, l'un des premiers à les inviter à rencontrer les auteurs : je me souviens avec émerveillement des 20 ans d'Actes Sud à Arles où j'avais eu le bonheur de rencontrer Hella Haasse, cette grande dame des lettres néerlandaises (qui vient de disparaître) qu'il avait fait découvrir. Sans lui, nous n'aurions pas pu inviter Paul Auster, Russell Banks, Nancy Huston, Claude Pujade-Renaud, Alberto Manguel, André Brink, Laurent Gaudé et tant d'autres. Hubert Nyssen aimait venir en librairie parler des auteurs qu'il publiait et qui étaient souvent devenus ses amis. Nous l'avions reçu en 1995 pour le prix Lucioles attribué à De beaux lendemains en compagnie de Christine Le Boeuf, son épouse et la traductrice du livre de Russell Banks. Sa passion pour les livres et les auteurs était contagieuse !
La dernière fois que je l'ai rencontré, c'était en 2008 pour les 30 ans d'Actes Sud, il était heureux et ému que Paul Auster en ait fait l'un des personnages de son livre Seul dans le noir. Merci, Hubert Nyssen, de nous avoir accompagnés pendant toutes ces années, merci de nous avoir permis de lire et de conseiller des univers que nous n'aurions pas connus sans vous. »
La ferveur amicale, par Brigitte de Meeûs, directrice de la librairie Tropismes à Bruxelles
"Tropismes est profondément attristé par la disparition d'Hubert Nyssen, fondateur visionnaire des éditions Actes Sud. Mille choses émouvantes partagées avec lui nous portent à saluer en lui l'éditeur militant qui, dès la création de sa maison d'édition, a privilégié la relation de complicité avec les libraires, grands et petits, dont Tropismes, où il est venu souvent présenter sa rentrée éditoriale lors de petits déjeuners mémorables. Nous avons admiré la ferveur amicale avec laquelle il soutenait ses auteurs autant que ses libraires. Adieu et merci Monsieur Nyssen."
La capacité de s'émerveiller, par Alain Flammarion, vice-président de Flammarion, et Teresa Cremisi, P-DG de Flammarion
"Nous avons perdu un ami, un compagnon de route. C'était un éditeur-né, ouvert à tous les vents de la curiosité. Il avait gardé la capacité de s'émerveiller, il avait compris que la réussite d'une vie se mesure aussi à l'excitation des projets collectifs, au plaisir du travail commun. Il était original, discret, affectueux.
Oui, c'était notre ami. Et nous ne l'oublierons pas."