Quatre fois Marie. Marie NDiaye est sans aucun doute l'une des autrices françaises les plus importantes de ces quarante dernières années (son premier livre, Quant au riche avenir, est paru chez Minuit en 1985), à la tête d'une œuvre fascinante, complexe, volontiers mystérieuse, se jouant des genres comme de toute injonction au réel. Pourtant, une question, une seule, suffit à l'aborder tout entière : que s'est-il passé ? A-t-on jamais vraiment lu ce que l'on a cru lire ? Prodige de la littérature que d'offrir ainsi au champ des possibles une infinité de perspectives.
Aussi est-il illusoire d'attendre de Marie NDiaye qu'elle sacrifie à l'exercice, certainement trop morose pour elle, de l'autofiction. Même quand la plus belle des collections dédiée à cette dernière, « Traits et portraits », à l'enseigne du Mercure de France et sous la direction de Colette Fellous, le lui propose. Il y a vingt ans déjà, Autoportrait en vert contournait brillamment la commande. C'est encore − et peut-être encore plus − le cas aujourd'hui avec ce vertigineux Le bon Denis où l'autrice de Trois femmes puissantes semble régler une fois pour toutes son sort à l'autobiographie... Le récit, ou plutôt les récits, se déploie autour d'une scène initiale : le brusque départ du père sénégalais de Marie NDiaye peu après sa naissance en France. Autour de lui, la romancière va composer quatre histoires qui ne se répondent guère que dans le champ de l'imaginaire. Voilà d'abord Marie (une femme nommée Marie qui n'est pas exactement l'autrice) auprès de sa mère à la mémoire défaillante qui voudrait savoir ce qu'il en est de ce « bon Denis » qui se serait occupé d'elle après que son père soit parti. Voici ensuite deux jeunes gens, elle est née en Beauce, lui à Dakar, ce sont les parents de l'écrivaine. Puis c'est une incursion dans la psyché d'un homme africain qui se sent rejeté en France, et notamment par ses beaux-parents. Enfin, on suit le voyage de la narratrice, 18 ans, vers Los Angeles et un grand hôtel pour y retrouver son père... Quatre propositions de fictions et autant de vérités fragmentées par le souvenir et l'imagination. Marie NDiaye est maîtresse de ces illusions romanesques dont elle joue avec une maestria sans pareille. Elle est là à chaque page, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. C'est du grand art. Celui magnifique de la dissimulation.
Le bon Denis
Mercure de France
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 18,50 € ; 144 p.
ISBN: 9782715266223