Le jeune groupe Humensis est officiellement mis en vente par son propriétaire, le groupe de réassurance Scor. Le projet a été présenté au Conseil de surveillance de ce dernier vendredi 2 février. Livres Hebdo fait le point sur le dossier qui promet d’agiter encore quelques mois le secteur de l’édition.
Pourquoi Scor met-il en vente Humensis ?
Le groupe Humensis est né en 2016 par la volonté de Denis Kessler, emblématique P-DG du groupe de réassurance Scor entre 2002 et 2021, à la présidence duquel il est resté par la suite. Personnalité reconnue dans les affaires et l’industrie, membre de l’Institut et agrégé d’affaires sociales, ce diplômé d’HEC (1972) a milité sa vie durant pour la transmission des savoirs, notamment par le livre.
Un mois après son décès à l’âge de 71 ans en juin 2023, Scor Capital Partners, la holding d’investissement du réassureur par laquelle Denis Kessler a financé son projet, qui détient également des actifs hors assurance (notamment dans l’immobilier et des vignobles dans le bordelais), a mandaté une banque d’affaires, Gimar & Co, pour opérer une vente de sa filiale. Cette dernière, malgré plusieurs succès éditoriaux, a rarement dégagé des bénéfices au global (seulement en 2019 et 2020, en exploitation). Humensis ne devait pas survivre au sein du groupe à la mort de son fondateur.
Qu’est-ce que le groupe Humensis ?
Le 14ᵉ groupe éditorial français en termes de chiffre d’affaires, selon le classement des éditeurs Livres Hebdo, a fait l’objet de plusieurs augmentations de capital, portant à près de 99 % la participation de Scor dans sa filiale actuellement. Le reste du capital est détenu par le groupe Madrigall et des petits porteurs, pour la plupart ayants droits d’auteurs des PUF notamment. Cette maison, créée en 1921 et dont Scor est entré au capital dès 2014, a été la première pierre du groupe élaboré à partir de 2016.
Aujourd’hui, Humensis comprend également Belin Éducation en édition scolaire et dix autres entités éditoriales (Que sais-je ?, L’Observatoire, Les Équateurs, Le Pommier, Herscher, Alpha (poche), Humensciences, Belin Sciences et Nature, Belin Histoire et Passé Composé). Le groupe détient aussi des filiales de presse magazine (Pour la science, Classica, Pianiste, L'avant-scène opéra et Pour l’éco).
Son chiffre d’affaires consolidé de l’année 2022, considérée comme l’une des plus difficiles de son existence en termes de résultat, est en deçà des 40 millions d’euros, selon nos informations. Grâce notamment à son fonds, le périmètre de la maison des PUF, en grande difficulté il y a dix ans, est à nouveau stable et rentable depuis 2016. Il génère près de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, selon une source proche de la gouvernance, pour un résultat d’environ 2 millions d’euros. Belin Éducation, aux performances cycliques comme le marché scolaire, serait contributive pendant les réformes scolaires.
En revanche, si « Les Équateurs sont à l’équilibre en 2023 », selon la directrice générale adjointe Muriel Beyer, L’Observatoire ne devrait pas l’atteindre, malgré le beau succès d’Humus, de Gaspard Kœnig, l’un des ouvrages les plus en vue de la rentrée littéraire 2023 et lauréat des prix Interallié et Jean Giono notamment. « Les autres maisons d’édition de livres, de taille encore sous-critique, sont à un équilibre fragile », décrit un connaisseur du dossier.
Les années « records » du groupe ont été réalisées grâce à son activité d’édition scolaire, dont les performances sont liées aux réformes scolaires, compensant les déficits chroniques de la littérature générale.
Selon nos informations, les marques de presse spécialisée (Pour l’éco, Pour la science, Classica, Pianiste…) sont lourdement déficitaires et plombent le résultat. Quant aux plateformes digitales d’éducation (Gérip, Édulib…), elles demeurent très coûteuses en investissements.
Concernant la distribution (hors activité digitales scolaires), les maisons d’Humensis sont en contrat avec la filiale du groupe Madrigall, Union Distribution, le groupe disposant de sa propre diffusion pour l’essentiel de son activité à l’exception de L’Observatoire, diffusée par Flammarion.
Qui peut acheter le groupe et à quel prix ?
C’est une question rhétorique. Pour le prix, difficile de l’évaluer à ce stade. Humensis est un groupe qui globalement perd de l’argent, avec de belles marques et du potentiel. Naturellement, plusieurs acheteurs logiques se dégagent, avec des arguments différents. Madrigall est déjà au capital, partenaire important de coéditions dans le parascolaire de Belin Éducation, et surtout distributeur des marques éditoriales. Cette activité représente près de 15 % du chiffre d’affaires de sa filiale UD, selon nos informations.
Albin Michel, à travers Magnard-Vuibert-Delagrave, détient notamment une joint-venture avec Belin Éducation (Édulib, diffusion numérique).
La nouvelle direction d’Editis ne cache pas son ambition de se renforcer sur le marché français, avec les moyens de son nouvel actionnaire. Des moyens largement à la portée d’Hachette, récemment passé sous le contrôle de Vivendi.
Ces deux derniers groupes pourraient néanmoins être freinés par la règlementation nationale en matière de concurrence, pour l’activité éditoriale scolaire notamment.
Enfin, Humensis pourrait intéresser un tiers ou une association de tiers, extérieurs ou non à l’édition et détenant les moyens de leur ambition.
On l’a vu l’an dernier avec la cession d’Editis, l’édition intéresse toujours les investisseurs.
Reste à savoir ce que privilégiera le cédant, le groupe Scor, qui a généré plus de 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021 mais qui a connu des résultats d’exploitation décevants en 2022 et a tourné plus vite que prévu la page Kessler en 2023.
Pourquoi la mise en vente d’Humensis prend du temps ?
Ébruitée dès l’été 2023, commentée et observée depuis et annoncée pour mi-janvier 2024, la mise en vente vient seulement d’être officialisée en ce début de février. Un délai qui peut poser questions… Pour la représentante du Directoire du groupe, Muriel Beyer, ce n’est pas un sujet. « Nous ne sommes pas la priorité de Scor et cela peut se comprendre », explique-t-elle à Livres Hebdo.
Des administrateurs du groupe de réassurance sont en effet actuellement secoués par des affaires financières alors que celui-ci est réengagé dans un bras de fer avec le groupe Covéa... « Peut-être qu’en interne, la situation de gouvernance en pleine succession de Denis Kessler entraîne du retard », tente un spécialiste des fusions et acquisitions dans le secteur de l’édition, étonné qu’aucun memorandum d’information – présentation de l’entreprise en vue d’une cession – n’a été envoyé. Ce document est attendu notamment par Gilles Haéri, le directeur général d’Albin Michel, qui confiait mi-janvier à Livres Hebdo que « comme tout le monde, [il] regarderai[t] le dossier quand il sera présenté ». Ce sera chose faite dans les prochains jours.
Le dossier pourra donc prendre la voie classique d’une cession d’entreprise avec des négociations, exclusives ou non, entre de potentiels acquéreurs et Scor, qui aura le dernier mot sur le repreneur.