Début des années 1980, dans une petite ville de la Somme, un jeune homme attend son train. Pascal Mériaux a fini sa journée de pion et lit des bandes dessinées pour patienter. Il vient de tomber sur un libraire liquidant son stock, dont des albums des éditions du Fromage (Mandryka, Gotlib, Gimenez...). Une révélation pour ce garçon un peu désœuvré, petit dernier solitaire, élevé par une mère veuve dans un environnement sans livres. « Je découvrais que la bande dessinée était le médium qui me parlait le plus, davantage que le cinéma par exemple, dont le côté manipulateur m'a toujours gêné », raconte aujourd'hui l'homme de 55 ans, d'une voix caressante qui pèse chaque mot.
Pourtant, Pascal Mériaux démarre sa carrière non dans le livre mais dans la musique, comme guitariste professionnel. Parallèlement, il arpente les salons de bande dessinée. « Je dois ma reconversion professionnelle à une file d'attente de dédicaces de Franz qui a duré huit heures ! J'y ai rencontré Jeff Gilmé, du festival Bulles en Nord à Lys-lez-Lannoy, et qui a fait naître en moi une envie. Puis j'ai rencontré le futur libraire spécialisé BD d'Amiens, avec qui nous avons constaté qu'il n'y avait rien pour la BD dans notre ville. » Résultat, en 1995, avec huit autres passionnés, Pascal Mériaux lance les Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens, avec 33 auteurs et une affiche signée Batem.
L'autodidacte apprend vite et la manifestation grossit, portée par l'association On a marché sur la bulle. A 1 500 visiteurs la première année, elle en accueille aujourd'hui 15 000, et même plus de 25 000 pour les expositions et les animations hors les murs. « Il y avait tellement peu de choses autour du livre en Picardie à l'époque que les pouvoirs publics nous ont beaucoup soutenus », précise-t-il avec humilité. Alors qu'Enki Bilal dessine l'affiche de la troisième édition, l'esprit du festival s'affine, autour des questions de médiation et de formation (840 demi-journées l'an dernier). « J'ai été bouleversé quand j'ai rencontré des bibliothécaires en milieu rural qui avaient envie de comprendre la bande dessinée, se souvient Pascal Mériaux. Je me suis rendu compte que je pouvais être utile. »
Fort d'une connaissance pointue du 9e art, il s'engage pour le faire découvrir dans sa région, auprès des écoles et des bibliothèques, mais aussi en milieu carcéral ou psychiatrique, jusqu'à fonder un centre de ressources, aujourd'hui très sollicité. Il est devenu un militant, malgré lui. « C'est vrai que quand on se lève à 6 heures pour faire 150 kilomètres et aller parler de BD à des gamins hostiles à l'idée de devoir lire, c'est une forme de militantisme ! » Léa Mazé, qui a signé son premier album, Nora, aux éditions de la Gouttière, confirme : « Pascal a une éthique du livre et une vision politique de l'édition. Il a changé mon regard sur la BD : faire des livres pour les enfants est absolument nécessaire. »
« Profondément humain »
Ce grand bonhomme, « singulier, un peu intimidant mais très attachant » selon Léa Mazé, s'oriente ainsi vers les petits, en concevant des expositions innovantes, avec jeux et tables lumineuses. Puis lui vient l'idée d'éditer. « Notre conviction est qu'il manquait des livres pour les tout-petits, accompagnés d'un dispositif de médiation », dit-il. Les éditions de la Gouttière naissent ainsi en 2009, dont Pascal Mériaux n'est qu'un des rouages autour d'un comité éditorial. Encore une fois, c'est le collectif et l'humain qui président. « J'ai beaucoup reculé ce moment de devenir éditeur, car je ne voulais pas que des histoires d'argent viennent briser les relations que j'entretiens avec les auteurs », lâche-t-il. Des relations souvent très proches. « Au-delà de son côté hyperactif, qui peut lui valoir quelques craquages physiques, Pascal est quelqu'un de très sensible et de profondément humain, qui aime la vie et les autres », confie Stéphane Sénégas, dessinateur de la série Anuki. Avec 4 salariés, la maison diffusée par Média Diffusion (distribution : MDS) affiche un chiffre d'affaires de 820 000 euros HT et un catalogue de 66 titres enrichi chaque année d'une quinzaine de nouveautés.
Ses cinq enfants, dont une petite dernière de 7 ans, handicapée, achèvent de remplir ses journées, pleines de rendez-vous avec des politiques, des auteurs, ou avec le Syndicat national de l'édition et l'Education nationale, pour qui il planche en ce moment. « Aujourd'hui, j'incarne le festival et La Gouttière, mais cette mise en avant m'interroge souvent. Car je réfléchis aussi aux questions de la transmission et de la pérennité de tout cela. » Et l'écriture, qu'il a déjà approchée le temps d'un album ? « J'ai des idées qui me tiennent à cœur. Peut-être plus tard, quand j'aurais le temps... » Avec l'expansion du festival d'Amiens et les 10 ans de La Gouttière, il faudra sans doute attendre le prochain train.