Je ne sais plus quel poète allemand parle de « l’excès doré du monde ». Je ne sais pas s’il est « doré », l’excès, mais je suis d’accord avec le poète allemand : il y a excès. J’y pensais l’autre matin en rédigeant ma chronique hebdomadaire de L’Humanité . Il arrive qu’on me demande si ce n’est pas difficile de trouver un sujet chaque semaine, si des fois je ne suis pas en panne. Eh bien ! ça ne risque pas. Pour quiconque se propose d’examiner les modifications de ce monde, les sujets se pressent en foule. Ce sont des modifications discrètes, qui sur le moment ne changent pas grand-chose, qu’on peut trouver annexes, secondaires. C’est aussi une remarque qu’on me fait souvent : « Ce qui est marrant, c’est que tu traites de sujets auxquels on n’avait pas fait attention, et tu en tires quelque chose. » Eh ! Sans vouloir faire le prétentieux, j’oserais dire que c’est ma petite compétence… Or ce n’est pas un sujet que j’avais l’autre jour pour ma chronique, c’est quatre ou cinq. Toute la difficulté était de choisir. Des exemples ? Volontiers. De toute façon, il n’y a pas assez de semaines dans le mois pour que je les traite tous dans L’Huma , alors… M. Louis Schweitzer est content parce qu’il y a de plus en plus de plaintes auprès de la Halde. Il regrette seulement que les femmes ne se plaignent pas assez. Il voudrait que les femmes se plaignent davantage. Il appelle les femmes à se plaindre en masse, M. Schweitzer. Mais plaignez-vous donc, bon sang ! Voilà, moi, avec ça, je vous ponds mes 2500 signes et je vous promets que je vous fais rire. Ou alors : la municipalité d’Amsterdam entend faire disparaître les célèbres vitrines. Qui « nuisent à son image ». Pour « se positionner sur un tourisme haut de gamme. » Là ce n’est pas 2500 signes qu’il me faut, c’est le triple, pour vous conter la glaciation de nos villes. Amsterdam naguère si accueillante aux hippies, aux traîne-savates, aux musicos, aux étudiants fauchés… Et bien sûr les pauvres putains continueront le boulot, mais dans des coins paumés, lointains, où elles seront davantage en danger, et tout le monde s’en fiche… Et le pape Benoît XVI, qui s’est mis sur Facebook ! Qui lance le site Pope2you (prononcer : pop-touillou) ! Tout ce qu’il y aurait à dire. Une par jour, je pourrais en faire ! Le propre de ce temps est d’offrir chaque jour de l’impensable, ou disons de l’impensé. Suffit d’allumer la télé, de lire n’importe quel canard ou tout simplement de lever un peu le nez quand on sort de chez soi. Pour un écrivain, c’est une aubaine. Diderot, Balzac, Proust, n’ont pas eu la chance, eux, de vivre dans une société où il y a un ministre « pour vous recommander de vous laver les mains .» Il est vrai qu’ils disposaient d’autres calamités. *** Tenez, dans le même genre. Je reçois un coup de téléphone de quelqu’un qui me demande mon poids. Quand je dis quelqu’un, je me comprends. C’était une voix synthétique. Curieux de savoir ce que c’était que cette affaire, j’ai pianoté mon poids, puis ma taille, puis appuyé sur étoile, etc. Quelques secondes après, la même non-personne m’a annoncé froidement que mon IMC était de 21, 10. Après quoi « ça » a raccroché. Totalement déstabilisé, je me suis renseigné auprès de mon entourage. « L'IMC, m’a-t-on dit, est l'Indice de Masse Corporelle, obtenu en divisant ton poids par ta taille au carré, idéalement situé selon l'OMS entre 18,5 et 25. Donc tout va bien pour toi. » Nous vivons dans un monde étonnant où quelqu’un qui n’existe pas vous téléphone pour diviser votre poids par votre taille au carré sans que vous ayez rien demandé . Une par jour, que je pourrais en faire, moi ! * Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le conflit qui oppose Calixte Beyala à Michel Drucker m’a tant fait rire. Je crois bien n’avoir jamais lu un livre de Calixte Beyala, mais je l’ai rencontrée à deux ou trois reprises ; cette fille a le don de me mettre en joie. C’est un mystère.