"J'en étais quasiment certain, car dans le cadre d'une infraction, on regarde toujours l'élément matériel et l'élément intentionnel", décrypte Me Emmanuel Pierrat, l'avocat de Jean-Pierre Thibaudat, forcément satisfait de cette décision. "L'élément matériel était là, Céline n'a pas donné spontanément les manuscrits qui ont été remis à Jean-Pierre Thibaudat. Mais ce dernier a patiemment trié, classé, gardé religieusement ces documents sans chercher à en tirer un bénéfice, et a tout de suite contacté les ayants droit de Céline après la mort de sa veuve, Lucette Destouches. Les enquêteurs de l'OCBC en ont tenu compte".
"Une immunité pour tous les receleurs de France"
Début août, le journaliste Jérôme Dupuis du Monde racontait dans un article fleuve comment 6000 feuillets inédits de Louis-Ferdinand Céline, volés en 1944 au domicile de l'écrivain - alors en fuite - étaient réapparus début 2020, conservés pendant de nombreuses années par l'ex-critique de théâtre à Libération Jean-Pierre Thibaudat. Ce dernier explique avoir respecté la volonté de sa "source", le lecteur qui lui a remis ces feuillets, en ne révélant leur existence qu'après la mort de la veuve de Céline, Lucette Destouches. François Gibault et Véronique Chovin avaient déposé plainte pour "recel de vol" en février 2021, avant de récupérer l'ensemble des documents en juillet.
Cette décision du parquet "est inexplicable, car le recel est constitué, et Jean-Pierre Thibaudat lui-même a reconnu dans ses dépositions que ces documents étaient issus du vol de la rue Girardon", là où habitait Céline, a réagi auprès de Livres Hebdo Me Jérémie Assous, avocat des deux ayants droit. "Ce qui est sûr, c'est que c'est une excellente nouvelle pour tous les receleurs de France et de Navarre", ironise l'avocat, avant de poursuivre : "Avec cette décision, le parquet leur confère une immunité à condition qu'ils se déclarent journalistes et fassent valoir le secret des sources". Ses clients ont désormais le choix d'intenter une action civile ou une action pénale, s'ils souhaitent poursuivre les démarches contre Jean-Pierre Thibaudat. "Rien n'a encore été décidé, nous avons le temps", remarquait Me Assous.
Outre le volet judiciaire de cette affaire, un important travail a été entamé par les ayants droit avec les éditions Gallimard, l'éditeur historique de l'écrivain, pour faire paraître le plus rapidement possible ces textes inédits, dont le précieux manuscrit de Mort à crédit. Si la maison a déjà constitué une équipe pour travailler sur ces trésors retrouvés, Me Assous se refusait toujours, vendredi 19 novembre, à confirmer la signature d'un contrat d'édition, se contentant d'indiquer que "cela avance avec Gallimard".