Avant-critique Essais

Jacques Esprit suivi de Pascal Quignard, "La fausseté des vertus humaines" suivi de "Traité sur Esprit" (Séguier)

Frontispice de La fausseté des vertus humaines de Jacques Esprit, 1678. - Photo © DR/Séguier

Jacques Esprit suivi de Pascal Quignard, "La fausseté des vertus humaines" suivi de "Traité sur Esprit" (Séguier)

Réédition bienvenue du grand œuvre de Jacques Esprit, moraliste oublié du Grand Siècle et ami de La Rochefoucauld, précédé d'un essai de Pascal Quignard.

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Par Sean Rose
Créé le 09.02.2025 à 11h00

Traité de misanthropie. En 1678 paraissent de manière posthume les Maximes de la marquise de Sablé et La fausseté des vertus humaines de Jacques Esprit, appelé l'abbé Esprit bien que jamais ordonné prêtre. Le XVIIe siècle, dit Grand Siècle car associé à l'éclatant règne de Louis XIV, est aussi celui des moralistes - ces écrivains qui disséquèrent les mœurs de leurs temps et s'évertuèrent à dévoiler le ténébreux tréfonds de l'âme humaine. Le duc de La Rochefoucauld, auteur également de maximes devenues célèbres, doit beaucoup à la marquise de Sablé et à l'abbé Esprit qui le conseillèrent dans la rédaction de ses sentences. Les œuvres des amis du duc sont en revanche tombées aux oubliettes. L'ouvrage de Mme de Sablé parce que, selon Sainte-Beuve, « le fond en est de morale chrétienne ou de pure civilité et usage de monde ; mais la forme surtout fait défaut [...] ». La fausseté des vertus humaines de Jacques Esprit parce que sans doute trop misanthrope. Sans le replacer dans son contexte, ainsi que le fait l'éclairant essai de Pascal Quignard, le grand œuvre de ce moraliste du XVIIe siècle, janséniste pur jus, est assez incompréhensible pour nous autres postmodernes de l'ère numérique qui croyons tout de même au progrès... Quel que soit notre pessimisme, il ne saurait être aussi radical que celui d'un chrétien de cette obédience particulièrement rigoriste qu'est le jansénisme. Pour ces ennemis des jésuites, lesquels prônaient le libre arbitre puisque l'homme est tombé dans le péché à cause de la faute originelle d'Adam, jamais rien de bon ne pourra sortir de l'humain : toute volonté est viciée au départ. Sans l'aide de Dieu, nul n'est apte à faire le bien ! Ainsi Esprit égrène-t-il nos supposées vertus : la sincérité, la prudence, la magnanimité... Les démontant une à une, en réfutant les Anciens tels Aristote ou Cicéron qui en tressent les éloges, il décèle en chaque idéal universel la motivation fourbe de notre intérêt particulier. Même en l'amitié, haute vertu grâce à laquelle on donnerait sa propre vie pour son ami, selon Sénèque. Esprit ne voit en elle que le masque de l'amour-propre. Et de juger la thèse du stoïcien oiseuse : « Je supplie toutes les personnes qui ont tant soit peu connaissance du cœur humain de dire si jamais une amitié de cette nature a pris naissance et s'il est possible qu'un homme fasse le plan d'une amitié qui lui fait ardemment souhaiter de se dépouiller de son bien, de sacrifier sa vie et de se charger des malheurs d'autrui. »

Saluons ici la réédition de la première édition moderne (Aubier, 1996) de l'unique œuvre d'Esprit. Ce traité de misanthropie est le parfait antidote contre les guides de pseudo-sagesse à la petite semaine et autres guimauves feel-good. Rafraîchissant de noirceur, aussi tonique que du Cioran !

Jacques Esprit suivi de Pascal Quignard
La fausseté́ des vertus humaines suivi de Traité sur Esprit
Séguier
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 560 p.
ISBN: 9782386360114

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