Avant-critique Essai

Jacques Rancière, "Au loin la liberté. Essai sur Tchekhov" (La Fabrique)

Jacques Rancière - Photo © Ivan Put

Jacques Rancière, "Au loin la liberté. Essai sur Tchekhov" (La Fabrique)

Jacques Rancière pose les bases d'une politique de la littérature à travers une lecture des nouvelles de Tchekhov.

Parution 13 septembre

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Par Laurent Lemire
Créé le 12.09.2024 à 14h00

L'usage du temps. Jacques Rancière s'est fait connaître par quelques travaux marquants et engagés comme La nuit des prolétaires (Fayard, 1981), Le philosophe et ses pauvres (Fayard, 1983) ou Le maître ignorant (Fayard, 1987). Mais ce philosophe de l'émancipation libéré du marxisme d'Althusser a montré qu'il était aussi un lecteur affûté à travers ses études Mallarmé, la politique de la sirène (Hachette, 1996), La chair des mots (Galilée, 1998) ou Politique de la littérature (Galilée, 2007). Il complète d'une certaine façon ce dernier ouvrage avec cette étude sur Tchekhov intitulée Au loin la liberté. En puisant dans le vaste corpus des nouvelles, mais aussi un peu dans les pièces de théâtre, Jacques Rancière dégage une notion, celle de servitude, à laquelle tous les personnages de l'auteur russe sont condamnés, à commencer par le premier d'entre eux, la mort. Mais Rancière ne fait pas de Tchekhov un nihiliste. Il serait plutôt question d'un anarchisme éthique et antidogmatique mis en scène à travers la grisaille des vies dans une société qui sombre, un désespoir vécu avec douceur, un passage du temps dans un horizon troublé. À la charnière de deux siècles, ce petit-fils de serf s'impose comme un écrivain de la transition en donnant un sens à l'insensé. En lisant Rancière parlant si bien des personnages de l'écrivain médecin, on pense à cet usage particulier du temps mis en lumière par un philosophe français, contemporain de Tchekhov, Félix Ravaisson. Dans son étude De l'habitude, il évoquait la « conscience obscurcie » et la « volonté endormie » que l'on retrouve chez l'auteur de La steppe. « C'est cela la servitude, explique Rancière. Non pas la soumission des hommes du peuple aux représentants de l'ordre, mais leur commune soumission à la répétition du même ; non pas l'obligation d'obéir, mais l'impossibilité d'imaginer que les choses soient autrement que ce qu'elles sont. » Son essai souligne combien les grands écrivains ne saisissent qu'une partie de la réalité, mais une partie essentielle. Aux lecteurs de s'en faire une idée et foin des vastes théories. La leçon particulière devient leçon de vie. Ce petit livre inspiré donne de furieuses envies de replonger dans l'œuvre de Tchekhov et une conclusion saute aux yeux : la liberté, c'est la littérature !

Jacques Rancière
Au loin la liberté. Essai sur Tchekhov
la Fabrique
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 13 € ; 128 p.
ISBN: 9782358722834

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