Le premier est architecte, il s'appelle Mohammad Khan, et sera celui par qui le scandale arrive. La deuxième, c'est Claire Burwell, une jeune veuve assez aisée que la dignité et l'autorité qu'elle dispense ont imposée comme porte-parole des familles des victimes du 11-Septembre. Paul Rubin, un homme d'affaires, est le troisième. La quatrième, c'est Alyssa Spier, une journaliste d'investigation pour qui la recherche forcenée de scoops tient lieu de déontologie. Il y a aussi Asma Answar, l'immigrée cinghalaise sans-papiers dont le mari a disparu sous les décombres, et Sean Gallagher, un homme à la dérive à qui la mort de son frère pompier a donné une raison de vivre. Six personnages plongés dans la tourmente d'Un concours de circonstances, le premier roman de la journaliste américaine Amy Waldman. Il s'agit d'un concours d'architecture destiné à créer un lieu de mémoire sur le site où se dressaient les Twin Towers. Le jury est amené à se prononcer sur des dossiers anonymes. Il choisit un beau « jardin du souvenir », dont il apparaît bien vite qu'il est l'oeuvre de Mohammad Khan. Un musulman pour célébrer les morts du 11-Septembre, il n'en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres médiatiques et pour qu'Amy Waldman érige un nouveau bûcher des vanités.
Norman Mailer avait prédit qu'il faudrait attendre dix ans après les attentats pour qu'un roman puisse rendre compte du 11-Septembre dans sa polysémie. Nous y sommes. Et malgré les efforts d'un Don DeLillo ou d'un Jay McInerney, il semble bien qu'Amy Waldman soit la première à y parvenir aussi pleinement. Chant polyphonique, son roman est d'abord un livre politique. Il en dit long sur la déshérence morale qui est le premier héritage laissé à l'Amérique par les terroristes. Salué outre-Atlantique par l'ensemble de la presse, Un concours de circonstances n'oublie pas que toute tragédie collective n'est jamais que la somme d'autant de défaites intimes. Et qu'au jeu du bouc émissaire il n'y a jamais de gagnant. Voilà qui, en la période actuelle, résonnera très curieusement aux oreilles des lecteurs français...
