Avant-critique Roman

Javier Cercas, "Le château de Barbe-Bleue " (Actes Sud)

Javier Cercas - Photo © LM. Palomares

Javier Cercas, "Le château de Barbe-Bleue " (Actes Sud)

Javier Cercas poursuit sa série de romans noirs autour de son personnage de flic et bibliothécaire Melchor Marin. Une radiographie impitoyable des maux de son pays.

J’achète l’article 1.5 €

Par Olivier Mony
Créé le 01.04.2023 à 11h00 ,
Mis à jour le 02.04.2023 à 19h21

Un père impasse. Il n'y a pas de grand écrivain sans liberté. Celle de laisser libre cours à ses envies narratives du moment, sans souci de devoir déférer à la statue du commandeur que son œuvre et ses lecteurs ont contribué presque malgré lui à ériger. Ainsi en est-il par exemple d'un John Banville s'adonnant désormais plus souvent qu'à son tour au whodunit le plus classique. Ainsi en est-il aussi, depuis trois livres désormais, de Javier Cercas. Celui qui, depuis Les soldats de Salamine (Actes Sud, 2002), s'est imposé comme l'incontestable chef de file de sa génération d'écrivains hispanophones a décidé de n'en faire qu'à sa tête et à son désir. Bien lui en a pris. En 2018 avec Le monarque des ombres, suivi trois ans plus tard par Terra Alta, il a entamé une série policière autour de la figure d'un certain Melchor Marin, un ancien taulard que la lecture des Misérables amènera à se reconvertir en flic, en mari, en père de famille.

On retrouve Melchor, toujours un peu entre chien et loup, entre tristesse et tendresse navrée, alors que suite à différents évènements (notamment l'assassinat de la femme qu'il aimait), il a quitté la police pour occuper un poste de bibliothécaire dans la petite ville de Terra Alta où il s'est désormais établi. Il a un peu vieilli, sa fille, Cosette, a grandi. Elle a 17 ans et vient de découvrir la vérité sur la mort de sa mère, que son père lui avait cachée, croyant la protéger. Persuadée que ce mensonge marque une rupture grave et douloureuse avec Melchor, elle s'enfuit, allant passer quelques jours à Majorque avec une amie. L'amie reviendra, pas elle. Son père, très vite fou d'inquiétude, va la rechercher, partir sur ses traces, et découvrir peu à peu un univers où règnent le secret, le mensonge et la corruption. Un univers dominé par la figure d'un multimillionnaire suédois, probable prédateur sexuel, qui semble être à l'abri de la loi des hommes grâce à sa fortune. La plus terrible, la plus noire, la plus tragique des enquêtes de Melchor Marin commence alors...

Quelle que soit cette noirceur, bien réelle, il faut d'abord souligner la très grande allégresse avec laquelle Cercas se soumet, encore une fois, aux lois du genre. Le château de Barbe-Bleue est ce qu'il est convenu d'appeler un redoutable page-turner dans lequel l'auteur se met ironiquement lui-même en scène en romancier peu soucieux de la vraisemblance des aventures de son propre héros. Au-delà, c'est tout sauf un écart, une escapade hors de ce qui fonde son œuvre. C'est bien l'Espagne, le poids de son histoire et celui de son présent, qui est ici décrite dans les termes les moins amènes. C'est aussi le sort fait aux femmes et aux filles, la violence qu'elles ont encore à subir, dont il est question en des pages absolument compassionnelles. Ainsi qu'une sorte de variation angoissée autour de la notion d'héroïsme et de la fragilité de notre humanité.

Les dernières
actualités