Entretien

Jean-Claude Mourlevat, premier lauréat français du Prix Alma

C.HELIE © Gallimard

Jean-Claude Mourlevat, premier lauréat français du Prix Alma

L’auteure de la Rivière à l'envers (Pocket Jeunesse), prix des Incorruptibles 2002, et de Jefferson, paru chez Gallimard en mars 2021, est le lauréat du « Nobel  » de la jeunesse. C'est la première fois qu'un auteur français remporte ce prix. Entretien avec un auteur discret, fasciné par Kafka, au style fluide et simple.

Par Thomas Faidherbe
Créé le 31.03.2021 à 15h54

La Fondation Astrid Lindgren a annoncé mardi 30 mars, l'attribution du prix Alma (Astrid Lindgren Memorial Award) 2021 au romancier français Jean-Claude Mourlevat. Depuis sa création en 2002, le prix, doté de cinq millions de couronnes suédoises (environ 540000 euros), n'avait encore jamais récompensé un auteur français. Il succède à la Sud-Corréenne Baek Hee-na. 

"Jean-Claude Mourlevat revisite brillamment la tradition du conte, abordant les sujets les plus beaux comme les plus difficiles." a commenté le jury, ajoutant que "Ses récits abolissent le temps et l’espace et évoquent dans une prose onirique et efficace des questions éternelles comme le désir et l’amour, la vulnérabilité et la guerre. L’œuvre toujours surprenante de Mourlevat ancre la trame antique de l’épopée dans une réalité contemporaine."

Entretien avec le lauréat qui affirme que son style pourrait se définir ainsi : "on peut y trouver plus que l'on aurait pu l'imaginer."

Livres Hebdo: Le prix Alma est une consécration, qu'avez-vous ressenti après la proclamation ? 
Jean-Claude Mourlevat: Stupéfait. Je ne m'y attendais surtout pas. Même si j'étais sur la short-list des lauréats potentiels depuis des années, j'ai fini par considérer que j'étais l'éternel candidat, qu'on allait bientôt changer de cheval et mettre un autre à ma place. Franchement, c'était vraiment inattendu. Un grand bonheur un petit peu perturbant. Parce que depuis l'annonce, le téléphone n'arrête pas de sonner, avec des suédois, des anglais. Autant de choses auquel je ne suis pas forcément habitué. 

Quelle sera la suite ?
En tant qu'auteur, j'espère que ça ne changera rien du tout. Du moins dans mon écriture. Je serai toujours aussi inquiet avant d'écrire le roman suivant, toujours aussi désespéré de ne pas arriver à la démarrer. Toujours aussi persuadé que je n'y arriverai pas et toujours aussi heureux quand je vais à nouveau démarrer une histoire. J'espère que ça se passera de la même façon. Ce qui peut changer, c'est la notoriété.

Quand avez-vous commencé à écrire ? 
J'ai commencé à écrire tard, à la quarantaine. Je me suis rendu compte que j'aimais énormément raconter des histoires et animer des comédiens. J''ai commencé à écrire accidentellement pour un ami comédien, qui m'a commandé des contes. Trois de ses contes ont été choisis par des éditeurs pour devenir des albums illustrés. Je me suis dit "ce n'était donc pas aussi difficile d'être publié". Je ne l'avais même pas voulu et finalement ça s'est réalisé. Ensuite, c'est devenu un long format. Je me suis lancé dans un premier roman, La balafre en 1998. Puis un deuxième puis un troisième, L'enfant océan, qui m'a fait basculer du côté de l'écriture. Une deuxième bascule se produit en 2006 avec Le combat d'hiver (Gallimard Jeunesse), qui a eu du succès et des prix littéraires. A ce moment, j'ai osé dire que j'étais écrivain. Avant ça, je n'y arrivais pas. 

Quelle est votre manière d'écrire ?
Je ne fais aucun plan. Je ne sais pas le faire, alors qu'on recommande de le faire. J'ai besoin de trouver début d'histoire et surtout une forme. C'est-à-dire "Est ce que ça va aller vite ou lentement ? Est-ce que c'est écrit comme on parle ? Est-ce que je raconte à la première personne ou à la troisième personne ?". Je réfléchis à une forme, une musique, un ton, un univers pour mes ouvrages. Après je commence à réfléchir au scénario. Pour mes livres,  dès lors que j'ai mon histoire en tête, je peux l'écrire dans un cahier dans un train, à la maison, ou sur un ordi avec beaucoup de bruit autour. Qu'importe l'endroit, rien ne me dérange. L'unique facteur, qui peut me déranger, c'est la fatigue. Je m'arrête quand je n'en peux plus. Je me force à m'arrêter car cela devient moins bon. Sinon je peux rester six mois, un an sans écrire une page. 

D'où viennent vos inspirations ?
Après 20 ans de rencontres, je ne sais toujours pas répondre à cette question. C'est très varié. Je vais à chaque fois chercher ailleurs. Cela peut être dans l'enfance, la petite enfance, mais aussi dans les voyages que j'ai fait ou pas.

Un mot pour définir votre style ? 
Fluide, simple, pas abscons. Mon style pourrait se définir : "on peut y trouver plus que l'on aurait pu l'imaginer."

Quelles sont les difficultés pour écrire en littérature jeunesse ?
Je m'adresse à mes lecteurs comme lorsqu'on parle à un jeune homme ou une jeune fille. Je ne les force pas à chercher les références politiques ou littéraires dans mon style. J'essaye de parler à leur hauteur, avec respect et la même ambition qu'un texte pour les adultes. 

Parmi vos lectures, quels livres ont été marquants ?
Ma première lecture était Robinson Crusoé, quand j'avais 10 ans. Je l’ai découvert à l'internat, Je l'ai lu trois fois de suite. C'était mon premier roman. Beaucoup plus tard, j'ai découvert Roald Dahl. Sinon Franz Kafka, mon "grand frère de littérature", qui me fascine toujours autant. Le livre de ma vie c'est Le château. Il me plonge dans les abymes de réflexion. A chaque fois, je suis ému et affecté. Je me dis "la littérature c'est ça". Mais j'en suis très loin. 
 
 

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