En 1890, dans sa dernière période bretonne de Pont-Aven avant de rejoindre définitivement les îles lointaines, Paul Gauguin (1848-1903) aurait séjourné au Pouldu, dans l'auberge tenue par la jeune Marie-Jeanne Henry, dite Marie Poupée, arrière-grand-mère des frères Abraham et Zac Kerven, un duo bien énigmatique. La belle, peu farouche et libérée, aurait eu une brève idylle avec le peintre, et peut-être même une enfant. En tout cas, elle aurait accepté de poser pour lui, nue et suggestive, pour une espèce de remake de L'Origine du monde, de Courbet, que Gauguin considérait comme son maître. Le petit tableau (35 x 27 cm), trop porno pour être exposé, serait resté depuis dissimulé dans la famille, jamais montré, jamais recensé dans les catalogues. Voilà le point de départ du Grand jabadao (une danse, synonyme breton de « bordel »), le savoureux nouveau roman de l'excellent Jean-Luc Coatalem, rarement là où on l'attend.

Il imagine donc qu'Abraham, l'infirme, et son jumeau autiste, ancien plongeur professionnel, qui ont caché le Gauguin dans le congélateur de leur bicoque sur l'îlot de Térénez, propriété de famille, décident un jour de le vendre pour une somme modique (300 000 euros), mais en cash, à un antiquaire désargenté et peu scrupuleux qui a besoin de se refaire, Bastien Scorff, assisté du jeune Donato Braga-Pereira, fils de banquiers, dévoyé et nul, et qui n'hésitera pas, sur ce coup-là, à doubler son patron. Mal lui en a pris, d'ailleurs, car les Kerven, Zac surtout, ne sont guère commodes. Un détective, embauché par sa famille, finira par retrouver sa trace, et révélera le pot aux roses, qu'on ne dévoilera pas ici, bien sûr. Disons simplement que, dans cette histoire, tout le monde ment, tout le monde triche, et que la ressemblance entre la jeune Saskia, la fille de Zac, et son aïeule modèle de Gauguin, aurait dû attirer l'attention plus tôt. Mais Scorff et Donato ne pensaient qu'au pognon...

Coatalem s'amuse avec brio avec cette intrigue rocambolesque sur un fond très plausible et bien documenté. Il alterne les narrateurs qui exposent chacun leur point de vue, faisant progresser l'intrigue jusqu'à un final digne d'un film de Lautner. C'est original, savoureux, et gentiment coquin.