Dans le flot de livres consacrés à la trajectoire, la vie ou le caractère de François Mitterrand parus depuis sa mort il y a vingt-cinq ans, en voici enfin un qui tranche très justement, à la fois par son style et surtout l'angle choisi, avec ce « tout-venant ». Il est l'œuvre de deux journalistes qui l'un et l'autre savent ce qu'écrire et enquêter veut dire : Jean-Pierre Tuquoi, ancienne plume d'un grand quotidien vespéral national, et Yves Harté, prix Albert Londres, ayant longtemps dirigé les destinées éditoriales du journal Sud Ouest. Leur idée : raconter l'ancien Président (comme celui qui ne l'était pas encore) par le prisme de sa relation avec son refuge landais, sa propriété de Latche.

Si l'ouvrage fourmille de mille anecdotes, si les deux auteurs ont su faire parler des témoins qui s'y étaient jusqu'alors toujours refusés, ce qui est ici tout particulièrement interrogé c'est le rapport de Mitterrand à la terre, à celle-ci en particulier, dont il n'était pas vraiment issu et qu'il va pourtant inlassablement « amener à lui », à ce qui le constitue ; un rapport non seigneurial à son domaine mais rempli d'un curieux et régulier échange fécond. Bien sûr, Latche, ce n'était pas que des pins, une ancienne bergerie peu à peu rénovée, des chemins qui se perdent dans la forêt. Mais pour l'homme politique, ce sera d'abord cela ; ainsi, c'est vrai, qu'un endroit où se traitent dans le secret les grandes affaires du monde, de l'Internationale socialiste à Gorbatchev en passant par Shimon Peres ou Henry Kissinger venu à la demande de la Maison Blanche « renifler » ce curieux personnage ayant intégré les communistes à son gouvernement...

Après avoir initialement imaginé y abriter ses amours avec Anne Pingeot, François Mitterrand en fera surtout le lieu de sa « première famille », celle de sa femme, Danièle, et de ses enfants. Pour la première fois, celui qui fut l'amant de Danièle de longues années, un professeur de sport qui y avait élu demeure également, témoigne. Il révèle avec une vraie distinction cette curieuse « vie à trois » qu'il y a menée entre la chambre de Danièle et l'aide qu'il pouvait apporter à son mari en toutes circonstances, électorales ou concernant la gestion du domaine. Bref, un régal, qui confirme la souveraine liberté que s'octroyaient dans un respect commun les un(e)s et les autres dans ce phalanstère du bout du monde, du bout des Landes.