Ce n'est pas un hasard si l'un des synonymes de politesse est savoir-vivre. Il indique un apprentissage de l'existence et le fait qu'on ne se comporte pas n'importe comment, surtout avec n'importe qui. Jean Pruvost déballe une nouvelle fois sa bibliothèque de quelque 10 000 dictionnaires et nous propose un voyage inattendu, érudit et plein d'humour « au fil des mots et de l'histoire ». Un voyage dans le temps et dans l'espace car il est aussi question de distance, physique et culturelle, quand on invoque la politesse. Elle n'a pas le même sens aux États-Unis, en Allemagne, au Japon ou en Russie où l'on ne salue que les gens que l'on connaît. On y voit aussi que la politesse se dose, d'où le fameux « trop poli pour être honnête ». Poussée trop loin, elle provoque la suspicion.

Ce professeur des universités émérite est l'auteur de nombreux ouvrages sur la langue française dont La story de la langue française (Tallandier, 2020) republié au même office dans la collection « Texto ». On lui doit également des milliers de chroniques radiophoniques et télévisées où se manifeste sa passion des mots. Le lexicologue aborde donc toutes les facettes de la politesse, à commencer par son étymologie laineuse. « Pour donner à la laine son apprêt, il convenait pour les Romains de la battre comme un tapis : polire, tel était le verbe utilisé pour cette opération finale. » Mais comment passe-t-on de la manière de faire aux bonnes manières ? On a compris que, dans les deux cas, il s'agit de rendre lisse. C'est ainsi que le mot politesse apparaît à la Renaissance dans son sens actuel. Mais un mot n'est jamais seul. « Il se love dans un champ lexical, en étant soigneusement bordé par des mots voisins qui, à leur manière, le délimitent et participent ainsi de son aura. »

Ainsi démarre ce voyage au cours duquel la littérature autant que les dictionnaires et les manuels sont interrogés. Si « poli » renvoie aux gens de peu, « courtois » renvoie aux gens de cour. Il s'agit d'une sorte de politesse distante. Quant à la civilité, elle relève du cérémonial, tout comme l'étiquette ou le protocole. La politesse, elle, reste près du peuple, comme cette « politesse du cœur », synonyme de sincérité et de décontraction. Jean Pruvost nous rappelle aussi qu'une politesse, ça se rend, ça se retourne, quelquefois contre soi quand on en fait trop. On voit bien comment le mot comme son principe se trouvent « au cœur d'une réflexion permanente sur la société et son évolution ». Un mot qui en dit long sur notre conception de l'existence où l'on retrouve la notion d'éducation et de savoir-vivre.

En partant des mots, on peut aller très loin. Jean Pruvost le montre dans cette pérégrination qui part d'un simple « bonjour » pour aboutir à une observation globale. Car que serait une société sans politesse, sans cette « petite vertu » qui rend plus fluides les relations et facilite le vivre-ensemble ? Certes, avec les générations, les codes ont changé, mais pas l'envie de rendre la vie plus douce.