On a dit de lui qu'il aurait été le modèle de Fitzgerald pour le personnage de Jay Gatsby. On dit tant de choses. Qu'importe que cela fût vrai ou faux, après tout on ne prête qu'aux riches et ceux-là justement furent, sa vie durant, le beau souci et la ligne d'horizon de Condé Montrose Nast (1873-1942). À ces « heureux du monde », ce génial patron de presse apprit à se vêtir (dans les pages de Vogue), à se meubler (House and Garden) et même à se comporter (Vanity Fair). Le tout sans jamais dévier de l'idée selon laquelle le chic serait l'instrument indispensable de l'honnête homme et surtout, de la femme moderne. Qu'en était-il alors de lui et pourquoi cette haute figure demeure-t-elle toujours aussi méconnue ? Peut-être parce que ce maître des élégances, ordonnateur par ailleurs de fêtes somptueuses dans son grand appartement de New York (avant que le krach de 1929 ne le ruine), préférait rester en retrait. L'homme avait ses zones d'ombre, ses secrets plus ou moins bien gardés. Ce sont ceux-là que s'attelle à dévoiler Jérôme Kagan, précieux spécialiste des grandes figures des années folles, dans une très attachante biographie romanesque. Romanesque parce que l'auteur a choisi de restituer ce qui aurait pu être la parole de rédactrices de l'édition française de Vogue (née en 1920). Riche idée qui permet d'évoquer la façon dont Nast a largement contribué à redessiner, à travers ses journaux, un idéal féminin définitivement plus libre. Les voix se mêlent et dessinent le tableau d'un monde qui court certes à sa perte, mais le plus joliment possible.