Remarquée avec un premier roman attachant et incarné, Le plus bel âge (Presses de la Cité, 2010, repris chez Pocket), Joanna Smith Rakoff signe cette fois un récit qui possède les mêmes qualités que son coup d’essai. L’Américaine remonte vers le mitan des années 1990. Elle avait alors 23 ans et des vêtements élégamment vintage. La jeune femme avait abandonné sa thèse et quitté Londres pour s’installer à New York. Fauchée. Elle habitait à Brooklyn chez son petit ami, Don, ce qu’elle a omis de dire à ses parents.
Le Don en question est un gaucho qui passe son temps à la salle de sport lorsqu’il n’essaye pas d’écrire un premier roman. Joanna, elle, n’a pas tardé à dégotter un job dans la 49e Rue. Au sein d’une prestigieuse agence littéraire.
Son excentrique patronne lui évoque autant Don Corleone que Katharine Hepburn. Ici, la modernité n’a aucune prise. Dans les bureaux, point d’ordinateurs ni de mails. La débutante a prétendu bien taper à la machine, ce qui n’est pas vraiment le cas. Elle a rapidement compris que l’agence comptait parmi ses clients un certain Jerry. Soit Jerome David Salinger. Peut-être le plus célèbre écrivain vivant à l’époque.
L’ermite de Cornish, New Hamsphire, elle ne doit jamais divulguer son numéro de téléphone ni son adresse aux gens qui cherchent à le contacter. Cette fan de Jane Austen et de Martin Amis n’avait jamais lu une ligne de Salinger. A ses yeux, son style semble d’une "mièvrerie insupportable". Chaque jour, il va lui falloir répondre aux lettres qu’il reçoit de ses nombreux admirateurs alors qu’elle préférerait mettre le nez dans un manuscrit. Et puis, un jour, voici qu’elle l’entend au bout du fil. Et puis un autre, voici qu’elle se met à dévorer d’une traite son œuvre et à le trouver "drôle, brutal, précis".
D’un bout à l’autre, Mon année Salinger frappe par son regard sans cynisme ni attendrissement. Son ton juste, sa manière de passer du rire à l’émotion. AL. F.